Prolonger la vie, recycler ... (04 août 2023 – 204 km)
Cannondale tu serais donc un enfant de Puechagut ? Crédit : Photovintage.com |
Journée un peu particulière aujourd'hui. Il me faut un lieu et une distance pour baptiser un nouveau vélo : le Cannondale.
Il remplace désormais le Cyfac brutalement décédé suite à la fatigue. Ce remplacement se fait à un moment crucial de " ma petite carrière cyclo" qui se doit de prendre aussi un tournant à l'aube d'une décennie. Je veux cycler autrement, différemment, je veux recycler en fait. Je n'ai pas encore choisi les options.
Le Cyfac est mort et se fut assez brutal. Sur la route. C'est une bonne chose finalement, c'était un vélo d'action et actif. Il devait partir presque en bonne santé. On peut dire qu'il est "mort de son vivant".
Depuis notre première rencontre il n'a pas chômé.On compte des dizaines de milliers de kilomètres sur tous terrains agressifs comme doux.
Que s'est-il donc passé ? L'usure ? La fatigue ? Que sont l'usure et la fatigue ?
On ne sait pas trop. Certainement une addition de petites contraintes répétées insignifiantes et tolérées qui aboutissent à la rupture. On ne la mesure pas toujours l'usure. Les métrologues et autres spécialistes des maintenances et conceptions la traquent toute une vie et souvent en vain. C'est comme une intime conviction ou une intuition. On pense que ça va péter. Mais quand ? Une démarche expérimentale permet de l'approcher. Ce sont des atomes qui vibrent, qui dansent, qui vont et viennent et puis un jour patatras!
"L'est cassée la machine"...
Vous avez beau faire des tests, des radiographies et des scanners, convoquer Poutine, Nolan et Musk, le groupe d'atome qui va initier la déformation est furtif, non identifié. Il n'a même pas conscience de son existence, de sa responsabilité et de ce qu'il va produire. Pour casser un vélo il faut l'utiliser souvent (c'est bien), longtemps (c'est mieux), surtout le faire vibrer... Et si vous ne l'utilisez pas ? Il cassera quand même. Une forme de chagrin lié à une inutilité payé cash là-bas, au bout du bout.
Je savais le Cyfac fragile comme l'était son maître à l'époque avant notre rencontre. Un mélange d'aluminium et de carbone, vaste foutoir qui ne peut, quand on y pense et à posteriori, qu'aboutir à des microfissures au milieu de contraintes augmentées et tout cela amenant à la ruine... La ruine, quel bon mot qu' aimait Chateaubriand déjà dès sa jeunesse...
Comme nous un vélo est un simple mortel qui a une unique destination. Et même si vous ne le faites presque pas rouler, il va se mettre en vrac sur l'axe du temps tout seul et comme un grand.
Les vieux vélos ne pètent pas un câble (c'est réservé aux humains) mais un cadre... C'est du vrai bris mécanique. De la rupture lourde. Il peut péter un tube, une fourche, une manivelle, un guidon. Bref tout ce qui ne le devrait pas sur le cahier des charges des optimistes. Et si on vous demande pourquoi c'est arrivé ? Que faut-il répondre ?
"Je ne sais pas c'est la vieillesse"... Vieillesse, énorme fourre-tout de l'inexplicable. Elle ne se qualifie pas forcément. La mort aussi n'a pas de nom, de définition précise. Même si c'est devenu la mode de décrire scientifiquement une disparition qu'on trouve toujours illégitime,.
Bref votre vélo s'il est âgé, ben ...il va péter sans crier gare. Un conseil ne descendez pas un col à 80 à l'heure avec un vélo de plus de 10 ans !
C'est de la roulette russe...
Le Cyfac a donc rendu l’âme en quelques jours et m'a laissé, je l'en remercie, intègre sans me jeter sur le bitume. Faut dire que je lui ai donné tellement de joies. Le fantôme d'Alain Jammes peut en témoigner. Il ne savait d'ailleurs pas qu'un vélo pouvait faire tant de choses, vivre tant d'aventures, tant d'incertitudes au milieu de libertés sans cesse conquises sur de nouveaux linéaires étonnants. Réaliser de grand projets, de "grands thèmes..." aussi. Loin des voies vertes et des campings.
Oui le Cyfac tu peux monter au ciel et rejoindre Alain. C'est ton tour.
T'as bien roulé ta bosse.
Pour les chagrinés des explications (métrologues de clubs), c'est la cadre qui après une petite arythmie constatée par une inopinée détente du câble de dérailleur (termes technique de cadrologue...) s'est fendu net. De façon presque magnifique d'ailleurs. "Du grand Mendez" dans la rupture...Je ne sais pas trop ou sont les amorçages et autres germinations mais est-ce important? Support de bidon? Arrêt cadraque. Oui c'est ça.
Double-Arrêt cadraque de Cyfac... Crédit : Docteur BL non conventionné et souvent non conventionnel... |
Il faut avancer. J'ai décrété illico le grand démantèlement logique avec récupération de pièces toutes désormais suspectes. Oui un vélo peut encore servir pour une transplantation. J'ai donné les restes à un autre rebouteux de la déchetterie du village. Encore un prolongement....
Façon puzzle...Pour passer à autre chose...Question de climat... Crédit : BL |
Mais je voudrais surtout revenir sur la notion de recyclage qui est centrale pour parler de ce nouveau Cannondale qui arrive dans la famille désormais et qui est un vélo déjà ancien...
Beaucoup de connaissances cyclistes s'étonnent de cette réputation que j'ai, semble-t-il de récupérer des vélos d'occasion sans passer par la case vélo neuf.
Désolé mais alors là c'est moi qui suis étonné.
Pour l'anecdote, sur le BRM 200, Brassens ou Brel je ne sais plus lequel, lors de cette improbable réunion, m'a même dit qu'il était conscient que s'il disparaissait je ne laisserai pas son vélo tout seul et que la manip. ne prendrait pas beaucoup de temps pour qu'il passe en ma possession...
Et pourquoi pas ? Loin de démentir, je lui ai assuré que je ne laisserai jamais seul son beau vélo, ce serait un crime. Et par fraternité.
Il était très inquiet.
Il est vrai que depuis que j'ai récupéré le vélo de ma mère dans les années 70, j'ai privilégié l'achat de vélos d'occasions qui étaient surtout de bonnes occasions... On citera seulement deux achats de vélos neufs (un Peugeot et un Messeguer) pour toute une carrière. Très peu et étrange pour beaucoup. Parlons-en.
Il y eu l’enchaînement d'opportunités d'occasion avec le Gitane puis le Contini (reconfiguré) puis le Cyfac et enfin le Cannondale, tous des vélos de deuxième main et exploités ensuite à la limite de leurs possibilités. Jusqu'à la ruine romantique.
Je ne dois pas oublier aussi le Fondriest Bernabeu, vélo hybride rebaptisé Nautilus acheté au trocathlon de Lattes pour la beauté de son pédalier ovale... Je crois l'avoir payé 30 euros ! Si, si. La randonneuse était totalement devenue obsolète... Je l'ai rénovée, remis en service... Pour trois fois son prix quand même, ce qui représente c'est vrai le prix d'une guidoline de vélo moderne...Il fonctionne toujours.
Qu'ai-je donc à dire sur cette état de fait ?
Je n'ai aucune motivation technique pour acheter un vélo dit "haut de gamme".Un vélo c'est d'abord une capacité à déplacer dans de bonnes conditions. Pour faire de la longue distance il y a des qualités de légèreté, de braquets, de confort. C'est vrai, mais attention rien de plus. Un vélo d'entrée de gamme a déjà souvent ces pré-requis. Gagner quelques grammes suit ensuite une courbe d'élasticité financière étonnante. Le matériel périphérique de liaison satellite et d'indexations électriques, comme les transmissions hydrauliques et capteurs de puissance sont totalement inutiles pour notre objectif. Donc sur une démarche d'aventure et de réalisation la course à l'armement sur les matériaux est risible.
On prône aujourd'hui le recyclage et surtout le "up-cyclage" qui consiste à prolonger la vie d'un produit. Pourquoi pas avec un vélo ? On le fait bien avec des vêtements. Même si on s'expose aux limites du vieillissement ultime, pourquoi se priver de ce prodige des déplacement pour quelques années de plus ?
Es-t-on un radin lorsqu'on achète d'occasion ? Es-t-on hors de la planète ou pour la planète ? Il faudra qu'on m'explique.
Gitane, Cyfac et Cannondale, je n'ai jamais été initiateur ou demandeur. On m'a toujours proposé l'adoption. Elle correspond à un besoin du moment, je ne suis pas un collectionneur de vélos. Ce type de transaction c'est du gagnant-gagnant-gagnant (win-win-win) puisque a) le vendeur est content de se "débarrasser" de son vélo ( le mot est fort, disons plutôt de le ressusciter), b) je suis content d'avoir un vélo (fatigué certes) opérationnel à bon marché, c) la planète est heureuse de ce cycle vertueux de non-gaspillage...
Que dire sur le budget nécessaire pour avoir un vélo de route qui soit "considéré" par les foules bariolées et supposé efficace...
On parle de plusieurs milliers d'euros !!
C'est vrai aussi que la technologie surabondante qui fait d'ailleurs que ces vélos sont électriques et plus du tout "mus par l'unique simple force musculaire" les a rendu hors de prix ( dérailleurs électriques, freins à disque, capteurs de puissance...). Une véritable course à l'armement et à la technologie qui a un coût écologique, une empreinte carbone démentielle. On ne dit rien parce que c'est un vélo et qu'il est, par sa définition même, l’emblème de l'écologie mais son bilan n'est vraiment pas bon. Et quand Lulu achète un vélo de 6000 euros et, avec sa grosse bedaine, monte à 11 à l'heure les cols en t'expliquant ses watts ("l'impuissance enseignée pour les nuls") et son gain de temps avec l’électrique pour changer de braquet au sprint... ne sommes nous pas dans le ridicule ?
Me voilà parti donc pour que se prolonge le dit "Cannondale".
Aujourd'hui il va faire quelques kilomètres pour le fameux "baptême à Puechagut". La maison forestière de l'Aigoual aurait, d'après les légendes d'après guerre, été un haut lieu des pèlerinages et autres cérémonies apostoliques. On venait peut-être ici recevoir la première onction après que les artisans Lanne et Valéro (vélociste Montpellier) aient construit ou reconfiguré un vélo de toutes les aventures.
Le jour n'est pas très bien choisi mais ne dis-t-on pas baptême pluvieux, mariage heureux? L'Aigoual a un peu le chapeau. En Cévennes, je me répète encore, il ne faut pas jouer. Du vent semble-t-il et des grains comme en mer... Là-haut, sur la ligne de partage, ce ne sera pas triste...
Aulas, Arphy, la Cravate puis cette fontaine au bout d'une allée au milieu de grands sapins. C'est un peu Shining, on se demande toujours à Puechagut où auront lieu les meurtre et disparition alors qu'on traverse vers la grande bâtisse immobile, inhabitée. "Tu es à Puechagut Cannondale ! Tu es heureux ?! Ben c'est symbolique. Je te baptise dans le prolongement de tous ces vélos disparus. Si je crois au baptême ? Joker! Attends pour ça il faut aussi de l'eau, une bonne douche. C'est prévu..."
"Cannondale, je te baptise devant cette fontaine au nom de Fabre, du CTM de tous les sains de corps et d'esprit ! Crédit BL |
Plus haut, je vais payer le tarif. Entre deux rayons de soleil ce sera la pluie et le vent... Je ne suis pas équipé et à chaque fois que j'hésite pour retourner le vélo dans l'autre sens la "tempête" se calme.
Du col du Minier, je vais hésiter par trois fois (tiens donc) pour savoir si cette jonction de l'Espérou est possible voire nécessaire car effectivement ici l'eau semble bien partagée avec le cycliste...
Je me lance et c'est la pleine mer avec les gouttes à l'horizontale... Parvenir à L'Espérou est un challenge car ce pseudo-plateau à vipères est une petite machine à laver. Pourtant le soleil n'est pas loin derrière cette barrière...
Des souvenirs remontent fatalement d'hivernales tronquées (plutôt neigeuses certes) avec le CTM où il y avait deux secteurs de renoncement identifiés : l'Espérou et la Séreyrède.
Ne pas s'attarder est la consigne. Quand on fait un erreur on la corrige... Quand on choisis aussi on va au bout du choix. Il n'y aura pas d'observatoire aujourd'hui.
Je mesure la sortie du contexte aquatique à l'état de la route. Tantôt humide, tantôt sèche et vice versa. Les virages s’enchaînent et parfois me ramènent vers l'Aigoual, vers l'eau du ciel...
Bien trempés..."L'eau te purifie bécane des temps nouveaux !" L'Aigoual a le chapeau, c'était prévisible... Crédit : BL |
Voici l'histoire simple de l'eau du baptême du Cannondale, ce vélo de la planète dont je vais prolonger la vie.
Et la planète, à minima, m'en remercie.
Pour rentrer et surtout "borner un peu" (passer les 200 rugissants...), rien ne vaut la nouvelle voie verte avec un ciel d'église...En se retournant, le pic d'Anjeau au loin... Crédit : BL |