Dans les limbes de l'Espiguette... (03 janvier – 132 km).


Ne pas rester trop longtemps à l'Espiguette...Ne pas s'y perdre...

L'année vient juste de commencer et je suis déjà reparti de nouveau. Pas très loin mais ça compte. Le problème en fait avec ces histoires de vélo, il pourrait être qu'à chaque fois "on m'a toujours revu", ce qui m'oblige donc à récidiver encore et encore...

Où donc aller là maintenant ? Je suis passé pratiquement partout depuis plus de 45 ans de bitumes ? 

Je propose une deuxième virée maritime qui a des accents de saudade portugaise sauce biclou, des parfums de tamaris et de fougasses (Aigues-Mortes oblige).

Il y a une véritable attraction l'hiver pour les lieux alors désertés par les touristes. Aller vers le bord de mer pas loin d'un solstice supposé froid, disons tiède, c'est un peu comme parcourir à marée basse un territoire interdit. Il n'y a personne, l'air ne vibre pas, aucune odeur de crèmes à bronzer mélangée au carbone, aucune bagarre, seulement le chuintement doux des pneus, le craquement léger d'une indexation de cinétique perpétuelle.

Virer à Palavas était un peu stressant, franchir des rails à tramway et suivre des pistes cyclables en étaient l'archétype. 

Là, je vais filer vers le bout du Gard, alias le Grau-du-Roi et chance, j'y connais un verrou de passage déjà usité plusieurs fois.

J'ai toujours plaisir à étudier quelques contorsions pour éviter les voitures en faisant évidemment plus de kilomètres. Les vitesses tombent, les distances augmentent, c'est le secret d'une belle fin de carrière à égalité avec ce compromis d'une solitude magnifiée seule gage de vérité et de pureté avec aucun commerce avec les hommes.

Enfilade de bleds pour rejoindre Lunel.

Le passage dit de "la Bruyère" peu après Restinclières alors que je viens juste de traverser une voie verte d'orgasme européen qui finit certainement en cul-de-sac (devant une ancienne gare à squatter), permet de prendre la ville des épiceries. Cette voie verte (non empruntée) ne se prolongera peut-être pas, il semblerait qu'on ne veuille plus dépenser à perte pour le social. On était même allé jusqu'au vélo rail, mais les créanciers grognent... Je m'égare.

La Bruyère donc et je gagne à la loterie gratuite : un "château de ma mère" se présente brutalement à moi... Celui-là, il faut que je m'y attarde...

Le petit Marius n'aurait jamais voulu le racheter plus tard, et pour cause, il est en bord d'autoroute. Le bruit est infernal. Il semble habité, mais seulement dans ses dépendances. Il doit y avoir un Colonel totalement dépressif, devant un cubi. de Carignan, il regarde une série sur Netflix, fiction tournée du côté de Marseille (Aubagne n'est plus) avec de belles cagoles à lèvres bimbos. Pauvre Augustine... Que de souvenirs, de légendes et d'amour pour finir bêtement ici sur une highway et pas loin d'un marché aux puces aux allures de souks.


Toujours inaccessible, c'est le principe même du "Château de ma mère..."

Je passe devant le Lycée que je viens de quitter en juin dernier pour trouver le début de la piste qui doit me mener à la Grande Motte le long du canal de Lunel.

Je ne sais pas si j'ai fait le bon choix, la grand route est juste là à ma gauche, je pourrais mettre deux dents de moins et fondre sur ma proie presque anaérobie, mais n'ai-je pas décidé que je flânais ?

Toujours aussi idiots ces volatiles à pattes immergées, hérons, flamands et consors, mais au fond, je les aime.

Je repère même un ponton qui pourrait être qualitatif, c'est à dire inspirer le néant, une direction dérisoire. Mais là, il donne face à la berge d'en face. C'est ridicule. On peut surtout trop bien imaginer ce qu'il y a derrière l'horizon et c'est bien là le malheur exactement.


Ponton prévisible donc pas très qualitatif...

Grau du Roi sans effort et je vais faire le tour du village jusqu'à ce qu'une petite voix me dise :" voilà, c'est tout pour aujourd'hui".

 Existe-t-il un Popeye de Grau du Roi ? Va -t-il bientôt naître ? C'est une question légitime. Tous les ports de Méditerranée ont leurs Popeye et jusqu'à la fin des temps. Popeye c'est moi, c'est vous, on rêve, on agite ses mains face au soleil et puis on est enterré au cimetière de Montbazin à côté d'un lotissement.

Le Vidourle qui coupe tout en deux est calme aujourd'hui, l'arrière-pays n'a rien à expliquer.

 

T'es passé où Popeye, frérot ?

Un peu au dernier moment, je décide d'aller vers l'impasse.

Il y eut l'impasse Piémançon et bien il y a son antipode optique : celle de l'Espiguette. Je vais peut-être pouvoir m'y contempler, mais par l'autre côté du phare de Bauduc.

Une vision détachée et sereine. Une vision nouvelle de début d'année 2025.

Va pour le Mac Do, après le virage de la piscine et le Casino. On frôle le "Las Végas de bazar" je vous préviens...Port Camargue la station sans neige est juste là. La piste cyclable, je ne la prends pas, elle me fatigue.

Le détour par le phare sur des planches de bois m'intéresse. Je n'ai jamais mis les pieds ici.

Et c'est idem avec la plage de l'Espiguette. On m'en a tellement parlé que j'ai instinctivement toujours refusé d'y aller. C'est quand même un cul-de-sac, il ne faut pas l'oublier.

Par ici on veut te faire croire à des pontons factices...


Piémançon, c'était pour le boulot et accomplir quelques écritures bibliques d'un destin personnel, mais l'Espiguette, franchement c'est quoi ? Ce pauvre parking en sable et cette plage identique à toutes les plages ?

Té ! j'aurais dû venir y faire des freins à main avec mes bagnoles pourries quand j'étais étudiant. Il y a de la place...

Reprenons. Ce qui fait un lieu n'est pas le lieu proprement dit, mais les hommes qui le regardent ou y vivent quelque chose. Ici, je n'ai rien vécu, et je n'y vois rien de spécial.

Cherchons quand même. Je trouve. Il faut y croire. Décider. Il y a bien ces petits reflets sur l'eau, cette ambiance vaporeuse des petites morts très lentes à Venise, cette lumière douce et filtrée, cette sensation d'être dans un tunnel vers quelque chose... Et qu'il ne faudra pas tarder à en revenir, à en sortir.

S'attarder à l'Espiguette est inutile et dangereux. Il faut croire le cycliste. Il faut me croire. C'est une sensation. C'est donc tout ce qui compte.

Au retour, le Mont Ventoux enneigé me surprend derrière les roseaux... C'est peut-être lui qui me prend par la main et me dit : " on rentre maintenant "...

Il me guide en retour de cette virée maritime. Je remonte vers le nord comme on quitte, au cap Horn les mers du Sud, les zones rugissantes... Je lui fais confiance pour me ramener vers les épices, le Brésil, la saudade, le soleil vrai... 


Crédit pour l'Espiguette : Thomas Mann




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