Les nuits de Maillane... ( 16 août 23 - 231 km)
En bon félibre des bitumes, parvenir à Maillane et surtout de nuit, est toujours sympathique... Un certain respect pour la Provence et ses traditions. Crédit BL |
Rouler de nuit est un cadeau. Pour moi c'est une affaire entendue. Je n'ai pas à gérer de problèmes d'équilibre, de cataractes, d'affaissements oculaires et/ou de sommeil. Encore moins la peur du noir bien au contraire. Gérer l'obscurité me transcende, convoque chez moi une deuxième nature...
L'été des nouveaux mois d'août sous canicules aide à changer de registre. On roule la nuit et cela permet de continuer à exister et surtout de ne pas se plaindre. Bientôt, c'est envisagé, les humains vivront exclusivement la nuit, le jour leur sera simplement interdit. Trop chaud, sous radiations nocives... Un cataclysme mis en place depuis pas si longtemps, avec notre bénédiction. C'est un scénario apocalyptique crédible.
Faire du "minuit-midi" peut procurer une satisfaction phénoménale même s' il est vrai la situation est réservée à ceux qui n'ont pas de grand problèmes de repos et peuvent rester éveillés longtemps sans lutter. Une certaine élite au sens non-élitiste du terme. Le cerveau est sous de nouvelles dopamines, celles des aventures nocturnes et va profiter des nouveaux cadres...Cadre de cheminement, cadre visuel, cadre de vélo, ...etc.
La nuit, les cyclistes croisés ne sont pas les mêmes assurément. La preuve en est d'ailleurs que tu n'en croise pas...Donc ils sont fatalement différents.
J'espère presque y être intercepté par la maréchaussée pour lui expliquer que je suis en vacance et que je profite des paysages. Ou, plus simplement pour voir leurs regards à ces "distributeurs de sanctions des confinements perpétuels à venir". Le plaisir d'une discussion simple.
Bousculer cette logique immémoriale de la poule couchée en hauteur qui ne dors que d'un œil, craignant pour sa vie. La nuit c'est dangereux ? Serai-je devenu le prédateur nocturne finalement ?
Aujourd'hui pas de délai, aucun BRM ni le moindre PBP Occitan... Non du plaisir simple. De l'obscurité totale en quantité rien que pour moi semble-t-il.
Me voilà parti le faisceau fixe devant et la frontale sous le casque (pour observer ceux qui vous observent de façon latérale, les bestioles)... Vers Corconne ce sera une belette ou une fouine, le retour des animaux que j'imagine corrélé à l'extinction des feux publics dans de nombreux villages aujourd'hui.
La route de nuit est calme, quelques fêtards à la sortie de Quissac puis, plus rien. Cette nouvelle logique d'extinction lumineuse dans les bleds est inespérée, si tout pouvait disparaître et laisser place au cosmos !? Un beau projet...Il se réalisera peut-être. Je le pense. De gré ou de force d'ailleurs;
La route de Moussac à Uzès est calme, elle pourrait être dangereuse avec son gabarit un peu chiche et ces fameux platanes à calèches (penchés par les vents dominants du secteur). A cette heure, pour un plaisir totale elle est rendue aux cycliste, aux amoureux de l'éternité d'une énergie presque gratuite. Les cyclistes apprécieraient le tronçon, le problème est... qu'ils sont couchés. Tant pis pour eux.
On pourrait aussi définir la nuit comme étant un spasme de routes fermées aux voitures et à l'usage exclusif de cyclistes.
J'entre dans Uzès sans encombre, il est un peu moins de 3h. Comme dans un rêve...On perd un peu la notion du temps, doublé, et je le savais, par la gendarmerie qui vérifie que tout est en ordre. Que tout le monde dort bien finalement. Que rien ne bouge. Je dois être un peu en infraction mais ce n'est pas d'aujourd'hui. Petit joueur, je sais.
Je décide de sortir de l'écusson. La façade fermée du bar de l'Hotel, endroit de toutes les rencontres improbables ( spécifiquement diurnes ) m'interpelle... On a l'impression de quatre planches élimées qui cachent désormais le tableau du rêve des joies Pagnolesque, du partage autour d'un Pastis. Est-ce bien là l'endroit de tous les départs et autres arrivées ?
Sur ce banc, un peu caché à l'écart de la route, je prends mon temps. Peut-être ai-je eu une pensée pour Jean Racine qui écrivait à quelques pas d'ici : " nous avons ( à Uzès) des nuits plus belles que vos jours"...
Uzès cet endroit de la métamorphose, de la naissance des poètes. Des passages furtifs aussi d'animaux nocturnes, comme moi.
Uzès luisante et magnifique... 3h du matin. Crédit BL |
Remoulins est proche et ce carrefour négocié de jour est un enfer... Mais là, à 4h du matin tu redécouvres ce qui existait deux siècles avant. C'est à dire le silence, le calme, une humanité cachée et silencieuse pour le bien de toi. Nulle orgie énergétique, nulle mouvement irrationnel, nulle vocifération.
Tu avances à une vitesse conséquente !? On ne va pas bien vite mais c'est efficace quand on ne s'éparpille pas. Sans stress, tout est si simple. Virage à droite pour aller par quelques vallons retrouver Aramon le verrou de passage du Rhône... Là il y a un pont avec en face la Grande Chimie illuminée...La grande Industrie des ancêtres. Papi.
Sanofi Aramon m'éclaire... Comment ne pas penser à la Solvay de l'impasse de Piémancon ?
Je peux imaginer d'ici les ouvriers postés s'afférant sur quelques molécules au milieu des réacteurs en inox, le batch de 5h... Ils ont finalement une vie légitime, enviable, bien réglée, dans un confort, une protection, avec un but.
J'entends, en traversant le Rhône, le murmure d'une industrie humaine... Crédit BL |
Il va falloir retrouver cette Montagnette qui est bien, comme son nom l'indique, une petite montagne posée là par hasard au milieu des alluvions du Rhône. Il y a là, un raccourci qui évite Barbentane et permet de se mettre un peu en danseuse.
C'est que rejoindre Maillane est compliqué quand même ! Je crois que c'est aussi pour ça que j'y vais de nuit. L'odeur, ce sens activé des animaux nocturnes m'indique que j'évolue au milieu d'un incendie récent, un parfum d'humus mais acre, avec une amertume certaine....
Le ravage est donc passé par là? J'espère que l'abbaye de St Michel de Frigolet a été sauvée des flammes... La route semble longue mais la nuit on ne parle pas de mesure de temps, on avance et c'est tout, comme dans un tunnel magique...Et on verra bien.
Ouf ! La bâtisse est sauvée, cet endroit mystique qu’appréciait autrefois un certain Gaby qui a fini sur les routes de Compostelle dont il est désormais totalement prisonnier comme dans un Truman Show.... Sa dernière destination.
Arriver à Maillane à quoi ça sert ? En principe, on a pas à expliquer avec des détails pourquoi on roule depuis minuit pour arriver à 6h devant un panneau mais je vais le faire quand même.
Point de rencontre ici avec les "amis de Maillane" comme Paul de Vivie autrefois, vous savez cette espèce de divinité Stéphanoise construite par les huiles toujours hilares et condescendantes qui évoluent aujourd'hui sur VAE...
J'ai d'autres raisons plus personnelles :
D'abord littéraires avec Frédéric Mistral qui est du lieu. Premier prix Nobel de littérature quand même... Ce n'est pas important ? Mais si voyons, puisque vous n'avez rien d'autre à proposer.
Il fait partie de ces écrivains provençaux comme Daudet, Giono, Pagnol, Barjavel qui nous apportent tellement, chacun à leur façon.
Je vais passer devant sa maison et le musée (fermé) en réfection. Une extension semble-t-il se prépare. J'espère, à minima, qu'ils ne vont pas faire un musée digitale avec immersion virtuelle et tout le toutim. Non, pour connaitre bien Mistral il suffit de proposer quelques livres...Et de les lire. Et pour ceux qui ne lisent pas ? Ben, ils ont qu'à aller au musée du bonbon près d'Uzès... Ce sera plus simple.
La maison de Mistral fermée et en extension...Bientôt on nous apprendra qu'on l'a transformée en hologramme... Crédit BL |
J'ai aussi déjà roulé et couru dans le secteur, ma vie sportive a déjà un bon déroulé pluriel sur l'axe du temps... Un semi marathon au milieu de l'incendie, un Rallye au pays de Mistral en partant de Mollèges, les brevets de Morières, les raids du Pontet, Avignon et j'en passe...Tout se mélange comme dans un grand manège qui tourne...De bons souvenirs.
Ce qui motive surtout ce passage c'est qu'en mars 1989, Maillane avait déjà été une destination nocturne pour moi. C'était la "première nuit de Maillane..."
Nous étions parti de Perpignan cette fois avec Bruno pour un 400 de haute facture pour rallier Marseille. Maillane, au milieu, était le lieu de rendez-vous de Pâques en Provence. N'allez pas croire que nous sommes allez écouter religieusement les discours de curés fédéraux. Que nenni, nous étions passés un peu comme des furies au milieu de cette place où je prends mon café ce matin. Presque incognitos, à peine concernés. Pour les fléchards Vélocio qui subliment aussi la nuit, soyons honnêtes, Maillane était la destination, la grotte. Tiens cette sortie pourrait être une Flèche au sens fédéral du terme...
Pour nous c'était seulement une balise, un passage. Oui, on arrive en sortant d'une nuit vélo à Maillane.
Avions nous remarqué en 1989, la maison du Lézard sur le chemin qui descendait vers les Baux ? Le mas du Juge ? Certainement pas. Je ne le regrette pas non plus. Nous étions trop brutaux et affairés à l'époque. Pas idiots non mais presque, aveuglés par ce désir de gagner sans le moindre recul. Par effraction. Et par la même en négligeant l'histoire, la littérature, les contemplations du Monde, les autres...
Toutes ces petites confiseries essentielles que l'on aurait pu appeler si, vous le permettez, les "Mistrals gagnants" de la vie...
7h, me voilà reparti, le jour s'est levé. Les prédateurs diurnes et la canicule vont s'installer et forcir d'heure en heure... Je vais prendre vers Collias pour saluer mon ami intermittent Jean Louis Trintignant. Une route où l'hiver il fait souvent bien froid. Ce ne sera pas le cas.
Je m'en reviens de cette nouvelle nuit de Maillane.
Peut-être plus belle que votre journée ?
Il faut en revenir de ces nuits de Maillane... Par Frigolet c'est plus direct... Crédit :BL |