« Chasseur ou cueilleur à l’épuisement ? » (Chronique d’un temps disparu… Nocturne de Rieucoulon -Course d’orientation)

«  Chasseur ou cueilleur à l’épuisement ? »  (Chronique d’un temps disparu… Nocturne de Rieucoulon -Course d’orientation)



Samedi 03 février 2018
Il faut vivre, il faut survivre, il faut chasser, il faut cueillir… J’ai toujours été fasciné par le Paléolithique et ses peuplades s’abritant dans des grottes, autosuffisantes et intelligentes… La chasse, la pêche, la cueillette de baies sauvages, on est bien loin des hectares de céréales mondialisées sous remembrement et Monsanto… 





Depuis quelques temps, affalé sur mon canapé, stressé par mes théories sur les traitements phytosanitaires pour cultures pérennes avec drones et GPS, je regarde le canal  24 de ma télé et ses reportages sur l’Alsaska. «  John le barbu », chasseur trappeur, t’y raconte comment ne pas mourir et être autosuffisant, par des déplacements judicieux dans un univers blanc et sans repère, au milieu d’ours affamés… Fabuleux.
Me voilà donc au départ de cette course d’orientation, il est 18h30. Je laisse ma calèche au bord de la route, elle n’est plus d’aucune utilité, elle ne m’appartient plus.  Martin Ziegler, chef de tribu, t’accueille, il sait où il faut cueillir, où il faut chasser,  il a l’expérience et va t’attendre cette nuit… Nous ne sommes que 25 ou 30 pas plus,  départs échelonnés, parcours différents, exercice solitaire pour savoir la performance individuelle au service d’un collectif. N’oublions pas que sans performance individuelle à la base il n’y aura pas de performance collective… Dans la vie pour survivre c’est parfois «  dispersez-vous »... L’humanité a survécu grâce à cette dispersion mise en commun plus tard…


C'est d'ici que partent les..chasseurs, cueilleurs...
Francesco (Picasso), italo-suisse de la période glaciaire, adapté à tous types de tribu et de climats, m’accompagne sur les deux premiers bosquets… Je sens qu’il a de l’expérience et que mes muscles  et ma cinétique  ce soir n’y feront rien.  Tu penses, je n’avais même pas repéré cette ligne électrique !? Après tout elle n’y était pas à l’ère d’avant…!  « Files Francesco et  à plus tard ! », le temps n’ayant pas d’importance même si c’est une course. Celui qui gagne ici est celui qui gère au mieux l’espace-temps… Je convoque mes sens, les bruits, les lumières, les teintes s’additionnent à cette boussole que d’abord je refuse puis trouve magnifique…, indispensable. On se calme, utilisons ce champ et ses contours même si les sédentaires agricole veulent, avec ces surfaces homogènes sans arbre, nous faire croire à notre inutilité, nous les nomades en déplacement…  

Je mets en place l’étrange technique, souvent obsolète certes,  de « fais plus de chemin, cela t’évite de penser et te permet d’utiliser tes muscles.. » en décidant de ne pas azimuter pour la balise N°6.  La N°7 est dans la rivière Bernard ! , Attention à la falaise… ! C’est un arbre au bord de l’eau, peut-être la lambrusque avec ses premiers raisins… ? Quel goût avait donc la vigne originelle … ? Ziegler (c’est un nom qui sonne comme Rahan fils de Crao) a prévu ensuite un triangle des Bermudes où les frontales vont s’agiter longtemps comme des lucioles… Je n’ai pas l’expérience de mes pairs,  et je vais « bartasser » longtemps  en ces lieux, la  tête en bas, jambes griffées…Peut-être d’ailleurs que j’ai tourné sur quelques mètres carrés qui sont devenu, avec la nuit, le stress et la fatigue, comme des hectares en Amazonie…  Je me souviens avoir aimé longtemps un sentier comme s’il était ma seule chance…  A-t-il seulement existé ? Etait-il une création de mon cerveau  pour que je m’oriente… ? Une seule solution : rester calme, se poser, embrasser sa boussole, déchiffrer les hiéroglyphes de Rahan, et continuer, malgré tout,  à empiler les balises en se retournant le moins possible. Ils seront fiers de moi à mon retour à la grotte… Certes je n’aurai pas tué un mammouth mais au moins je poserai quelque chose devant le feu, on va manger...
Tiens ! Une baie sauvage...

Bientôt 3 h que je tournicote, je suis à la N°14 sur les 20 proposées cette nuit. 14 myrtilles, glands, châtaignes,  c’est beaucoup pour la soupe ?     Non ? Les lucioles se sont évaporées, ma tribu est devant, quelques chiens aboient le rappel, le froid tombe, peut-être que je suis fier de moi car, non bredouille… Je ne vais pas rentrer  par le côté facile (la route), cette départementale goudronnée n’ayant jamais existé… mais par les pistes. Arriver par la montagne… Par le haut… Et toute la tribu, peuple nomade, va chanter mon retour, l’arrivée du dernier rescapé d’un monde à la fois agressif et salvateur,  nourricier surtout. Après tout j’ai "prélevé"…, j’ai prélevé comme il est d’usage, seulement les balises dont j’avais besoin ce soir  et sans accumulation. Juste la richesse nécessaire au déplacement et au bonheur.  Et sans épuisement pour cette fois.
Après avoir longé quelques zones marécageuses, je ne comprends pas trop comment, sans magnétisme, j’arrive pile sur la dernière balise, guidé « à la voix » par le Chaman Ziegler. L'instinct qui te ramène... 


Il me propose un vin chaud. Peu importe mon rang, il n’analyse pas ma performance, il n’en a que faire semble t-il… Il sait que j’ai tout donné ce soir avec mes moyens, petit guerrier volontaire qui paie sa part sur terre... Les autres sont déjà allés dormir sous les fourrures, près du feu, car demain il faudra vivre encore… 
Nous sommes seuls, il me parle d’autres lieus, d’autres époques,  de territoires où il a chassé, cueilli…, de lumières, d’animaux croisés, épuisés, tremblants, qu’il a même épargnés parfois… Il me parle de l’humanité naissante… L’espace-temps se prolonge, je suis à ma place.


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