Le Mt Blanc et le nombre de Deborah… (Chronique d’un abandon en été meurtrier…)
Le Mt Blanc et le
nombre de Deborah… (Chronique d’un
abandon en été meurtrier…)
« Aux yeux du Seigneur les montagnes s’éc(r)oulent… »
Magnifique phrase qui nous dit que ce qui est solide peut sembler liquide, il
suffit simplement de prendre le temps de l’observation. On définit ainsi un
nombre sans dimension. Le verre serait donc liquide et s’écoulerait si je
regarde un vitrail pendant 2 siècles… L’érosion visible ou pas.
Au massif du Mt Blanc c’est plus simple. Tu n’as pas besoin
d’être un Dieu ou un expert en mécanique des fluides et autres relaxations pour
voir se « casser la gueule » la montagne… Dès la mi-juillet le massif
se fluidifie et il te suffit de t’assoir quelques minutes à des endroits
choisis pour vivre et mesurer l’érosion. Attention toutefois à ne pas faire partie de
l’expérience et à rester, hors de ce qui se produit… Seulement spectateur.
02 août 2017 – 8h13’. Avec Jacques,
nous voilà partis, la « fleur au piolet » du lieu-dit « les
Houches » pour une ascension du Mt Blanc « d’en bas », « à
la Frison Roche » si vous voulez (tiens, tiens…). Sacs lourds, crampons et
tout le bordel, pas très « technique Alpine » tout ça mais on a
décidé de le faire ,comme Herzog, avec des tricounis et à boire et à
manger. La fameuse autonomie qui aujourd’hui te tue en Himalaya car la lenteur et le poids,
c’est certain, t’épuisent. On n’a pas téléphoné à Messner, on avait
peut-être tort. J’avais quand même fait un repérage quelques jours auparavant
sur la partie facile. C’est la voie
normale, pas l’historique de la Jonction
et autres Grands Mulets, non, celle plus dangereuse et
fréquentée de la face ouest… Baskets au pied, légers d’en bas, nous sommes plus
lourd sur le dos car il faut de l’eau, de l’alimentaire et puis le matos, qui
te permet d’évoluer au-dessus de 3000 m. Crampons, cordes et baudriers,
« quelques clous » pour la glace 😉, avec le fameux piolet
qu’aurait pu m’offrir mon père de son vivant comme j’ai offert les couteaux à
mes fils Rémy et Loïc (transmissions fondamentales)… Personne sur ce monotrace de la cabane des Arendelys, le col est rapidement atteint.
La voie ferrée (interdite ?) ne
nous intéresse pas, le sentier des
Rognes est plus sauvage, escarpé, il correspond à nos aptitudes et nous
permet de zapper le Nid d’Aigle plus
fréquenté par les Gérard Holtz et
autres japonais pressés accompagnés des dealers, ces quelques guides désabusés par
la mode du trail sous réchauffement climatique…
Nous pique-niquons
face à Chamonix et sa vallée. Toujours personne, seulement quelques « chèvres » (à
définir) sur les cailloux…
Echelle, la fin du sentier des Rognes... (Jacques Delafosse en action) |
On ne va pas enchaîner mais se reposer et bivouaquer au « camp de base des Polonais », la fameuse cabane des Rognes. L’occasion d’admirer les difficultés de cette face ouest dite Payot. C’est vrai « on a la patate » et c’est un peu difficile de se freiner là et d’attendre demain. Mais en haute montagne, tout n’est-il pas minuté ? Le lendemain, il doit faire beau et nous devrions évoluer en plein soleil sur le Dôme et les fameuses bosses, corniches sommitales convoitées avant le Graal… Alors patience. .. Il faut maintenant supporter cette inattendue bande d’Ukrainiens ,équipée de matériels d’un autre âge (lunettes de soudeur, sacs de 80 kg…), sortant de nulle-part, qui veulent nous prendre notre eau et le reste si on n’est pas attentifs…
Ils font un
vacarme épouvantable et quand, peu après minuit, ils dégagent vers le haut,
laissant la porte du refuge ouverte… Je dis « bon débarras !!! et qu’ils se perdent plus haut… » Plus de respect. Pardonne leur Frison...
03 août -
3h30. Pas dormi vraiment…Tu penses. Nuit étoilée, il faut partir avec un
compagnon de fortune (Alexandre) qui évolue en solo, sa maman gardant la bouffe... Le vent est très violent
et sur ce sentier qui mène au glacier nous sommes souvent couchés contre la
paroi. Crampons, pas d'imprudence sur cette petite langue glacière en dévers !
Refuge de tête Rousse fermé. Normal,
les ukrainiens l’auraient saccagé avant de tout emporter…Il parait qu'un mec serait reparti "à poil" en hélicoptère ayant été détroussé... Les guides du bureau m'avaient prévenu... Quand je pense que ce sont mes ancêtres… !?
On attend un peu que le jour se lève car passer le « couloir de la mort »
(expression appropriée selon les statistiques) en nocturne, comme les gars
de l’est, est, à mon avis, trop risqué. Je veux me voir mourir... C'est un droit. Tous les quarts d’heure, un éboulement… dans un bruit
qui vous réveille. Des cordées redescendent désabusées… Nous parvenons au
couloir avec le fameux câble. Par le bas, le vent remonte la paroi avec une violence
qui fait soulever la poussière et de là-haut dégringole des pavés…
La décision
est prise de renoncer. Le jeu n’en vaut pas la chandelle… Quand bien même nous puissions parvenir au magnifique nouveau refuge, juste là, la suite serait infernale, avec encore 1000 mètres de dénivelé…. Nous voilà à redescendre sur
la « moraine » du couloir, sur le versant protégé semble-t-il ? Et
bien, pas du tout… Une cascade de pierre plus volumineuse que les autres
explose sur les parois latérales du couloir et nous arrose copieusement… A plat
ventre tout le monde !!, un beau rocher passe à quelques centimètres de
Jacques… !?!? J’ai failli ne pas l’avoir vraiment connu ce Jacques...Mourir si jeune !? Au café des Autobus de St Martin de Londres (antipode du 1904 de Cham.), Lulu aurait été capable de dire qu'il était inconscient, même en jouant au baby foot...
Heureusement il est vivant.
Heureusement il est vivant.
2 cafés au
refuge. Dehors c’est pire, les drapeaux tibétains sont tendus… Un gendarme du
PGHM nous pose quelques questions sur les éboulements… « Même pas
peur c’est vrai mais quand même… » Il y a un mort par jour dans le secteur… Le
maire de St Gervais va bientôt s’énerver… Bon. Avec et surtout grâce à l’Adrénaline on
va faire une descente « au carton » par le Nid d’Aigle jusqu’aux Houches
et réfléchir à la suite. Ce n’était pas le moment. Pour le Mt Blanc on verra
plus tard donc. C’est vrai qu’en août c’est un peu limite… La montagne coule
vraiment…Demain on fera le Mt Blanc des Dames (Buet)... moins érosif, safe.
La rhéologie finalement c’est simple. Et pour les travaux pratiques rien ne vaut une balade dans le massif du Mt Blanc.
La rhéologie finalement c’est simple. Et pour les travaux pratiques rien ne vaut une balade dans le massif du Mt Blanc.
Finalement être vivant.. c'est bien... |
Tête Rousse... Étonnant ces drapeaux tibétains qui renseignent sur le vent... |