" Le téléphone du vent..." (Lundi 17 Novembre - Mont Aigoual )

 

Del So dans une cabine téléphonique en 1998 (Diagonale BS)... 
Je ne sais pas s'il dort ou tente de communiquer avec quelques esprits...
Cette cabine est un téléphone du vent... Il est parti avec elle...


"Le téléphone pleure... " Comme le chantait Claude François mais pour d'autres raisons. L'expression est forte, je n'irai pas jusque-là, le contexte est différent.

Bernard del Socorro ( alias Del So) nous a quitté. Il est parti, mais pas si brusquement que ça en fait. A l'inverse de Rata le magnifique, il était à peu près lui dans les délais de l'espérance de vie. Quoi à 81 ans, on ne peut mourir de vieillesse ? Bien sûr que si (INSEE - 80 ans).

L'interdiction de mourir qui s'est immiscé dans les cerveaux de façon récente semblerait ne pas concerner les corps. Pourtant, les corps abandonnent. Il faut rendre à la terre ce qui a été emprunté pour une organisation éphémère. Les statistiques sont implacables Del So était à l'espérance de vie. Donc qu' espérer à cet âge ?

Souvent, lorsque la personne est dans une activité phénoménale, disons au moins une agitation visible, on doute de sa date de naissance et on est donc surpris. C'est le syndrome Karl Lagerfeld, ce styliste allemand qui nous charmait par son masque figé et intemporel faisant douter qu'il avait connu la guerre.

Mais Bernard n'était plus actif depuis longtemps pour les cyclistes croisés. Il parlait d'activités virtuelles, de rêves d'activité, de désirs d'activité. Et on se disait pourquoi pas finalement. S'il en parlait, c'était presque qu'il réalisait, que c'était du moins possible. Si à 80 ans, on parle encore de projet d'ultra c'est qu'on ment sur sa date de naissance ou qu'on est mutant immortel. Le déni ?

Rêver n'est pas suffisant. La réalité écrase les désirs. La gravité jette au sol. Toujours.

Je suis habilité à parler de lui dans cet article, parce que je l'ai connu et pratiqué. Je ne vais pas le flatter comme je ne vais pas écorcher son image. Lorsqu'on s'en va, ceux qui restent selon moi, on le devoir de ne garder que le meilleur du partant puis surtout de l'oublier. L'oubli est d'une douceur infinie, il faut aimer cette possibilité. L'oubli, c'est un rendu à la terre qui a prêté gracieusement.

Aujourd'hui, lundi, il s'agit pour moi de réaliser un grand classique "d'étalonnage trail" à savoir l'enchaînement des 4000 marches, retour par Aire de côte. L'hiver approche, la montagne risque brutalement de fermer ses ponts-levis, ses accès étant plâtrés des premières neiges lourdes. Il ne sera alors plus possible d'atteindre l'observatoire et encore moins de redescendre la crête isolée qui mène au gîte d'Aire de côte.

Le café du Jardin passage obligé des trailers... dans le red-light de l'aventure...

C'est très bien de dédier cette journée à Del So, car ce massif nous l'avons fréquenté ensemble à plusieurs occasions. Je pense en particulier à toutes ces hivernales CTM de décembre. Souvent avortées à cause de la neige qui nous empêchait d'arriver au sommet, elles nous rendaient toujours plus forts, plus joyeux.

Nous étions très peu du club alors à prendre ces risques (relatifs). Depuis l'effroyable accident des années 90 (le peloton percuté par un chauffard) plus personne ne voulait se compromettre à nouveau sur ce qui était une classique : " l'hivernale de l'Aigoual".

Nous montions alors par le Minier puis stoppés à la Sereyrède ou à Prat-Peyrot, nous dévalions transis, frigorifiés vers Valleraugue.



On avait tenté et là était la seule vérité palpable. A l'instar de la bande à Elon Musk nous expérimentions jusqu'au clash une trajectoire. Les Cannondales et autres Gitanes de contrebande explosaient en plein vol, éparpillés sur les premières congères. Cela nous faisait rire. Aucun regret, la nature décidait.


Pas grand monde au café du jardin ce matin, mais je n'attends personne. Il y a une lumière rouge qui signale la terrasse du bistrot. Une lumière de red-light, d'interdit. Je sais que David peut arriver à tous moments et me surprendre.


9h30 - Je vais tester la course lente. Ai-je le choix ? Quand tu perds des watts, tu aimes que les secondes se dilatent et que la lenteur deviennent règle, un objectif. Tu planifies la perte d'énergie à des fins de toujours en garder. Le sommet est pris dans les nuages. Vais-je subir la pluie ? Bah, ce sera une hivernale à la Del So. On verra.

D'ici, cela semble favorable...


Une seule personne rencontrée sur ce parcours magnifique. Effectivement, ce n'est pas fréquenté. On est un lundi. Les Montpellierrains, "vieille école" à pataugasses trappeurs et boussole en bois ont décrété que la saison était terminée. Les jeunes ne prennent pas le risque d'un isolement avec des écrans qui n'aiment pas l'eau et sans inscription préalables.


Je parviens au sommet après 2 h 07'. C'est beaucoup, mais c'est bien rapide pour un randonneur. Je suis dans une catégorie intermédiaire bien loin quand même de mes 1 h 21 réalisés certes en compétition marque qui ne doit pas être élément de comparaison.


Là-haut, pas d'eau et j'ai déjà consommé mon litre. Tout est fermé, vidangé. Je fais le tour des murs de granits et décide d'enclencher vers le bas. C'est qu'il pleuviote et ne fait pas très bon. Mon sandwich "Marie Blachère" j'ai décidé de l'engloutir un peu plus bas sur l'autre crête. J'ai un endroit à moi d'où je peux surveiller le sentier des 4000 marches que je viens juste de parcourir.

Pas un chat... C'est mouillé...


Revenons à l'ami Del So.

Je ne parlerai pas de politique. Del So qui était un fan des réunions monastiques, des embrassades de curés de toutes les fédérations confondues et autres intercommunalités de partage de subventions, était aussi un politique même s'il s'en défendait. Peut-être comme Chateaubriand d'ailleurs, il n'en était pas récompensé. Trop sensible ? Je n'ai jamais su.


Il connaissait tout le monde et était de tous les buffets. J'ai toujours trouvé cela étrange et ennuyeux qu'il s'y perde. J'étais effaré de savoir qu'il pouvait traverser la France pour manger quelques cacahuètes avec des druides de 650 ou encore dialoguer avec des prêtres de la fédération en faisant des messes basses, des chuchotis, des confessions. Il n'était pas à conspirer mais on avait quand même le doute. C'était un apostolique, romain. Il ne se forçait pas. Tout mouvement cathare hors des lignes l'effrayait et le fascinait aussi. Il aurait peut -être allumé un bûcher pour quelques convictions face à un protestant ou un orthodoxe. Qui sait ?

Il n'attendait rien de tout ce bazar je pense. En était-il souvent déçu ? Il m'en parlait parfois à voix basse, voulant que je l'éloigne, mais c'était lui qui choisissait libre les vapeurs d'encens des codechs et autres milieux religieux reconnus. Pas moi. 

Il avait froid certainement. Il cherchait une chaleur et peu importe son origine. Peut-être ne savait-il pas d'ailleurs qu'il avait été élu Président sur la terre des hommes. En conclave, rapide, expédié, dans un ruelle obscure, une impasse magnifique comme celle de la coratterie.

C'est pour cela aussi qu'un matin il n'avait pas vu partir le CTM qui l'avait pourtant choisi et aimé... On ne comprend jamais vraiment pourquoi sa femme fait sa valise dans l'aube blême et gémissante. On le mérite toujours un peu quand même non ? Ce serait trop facile. Et on laisse faire. Paralysé par quoi ? Le téléphone pleure ? Faut-il maudire les effets des causes que l'on créait ?


Le summum du partage entre nous fut cette diagonale à deux en 1998. Il commençait, moi je terminais le cycle des neufs.


Diagonale réussie à Strasbourg avec pour point d'orgue cette cabine téléphonique que nous avions rallié dans la nuit pour dormir et attendre que l'orage cesse. Debout, accroupis, assis dans ce petit volume, regardant le ciel noir zébré par les éclairs à travers des vitres floues, il avait fallu attendre le jour. Un grand moment d'inconfort.


Il faut avoir une cabine téléphonique à son palmarès pour comprendre ce qu'est l'improvisation ratée d'un bivouac. Mais cette cabine, on l'a aimé, elle nous a sauvé. On n'a appelé personne. En Diagonale, on est seul. On n'appelle pas sa mère. Surtout pas. Elle ne viendrait pas. Elle te défendrait pour un meurtre mais pas pour ça, échouer dans une cabine pour rallier bêtement A et B en temps limité c'est trop absurde. Appeler sa femme ? Tu as peut-être été tenté mais j'ai dû te dissuader, on attaque pas un cycle de Diagonaliste sur cette posture. Cette cabine téléphonique, c'est un fait d'armes.


Était-elle en fonctionnement d'ailleurs cette cabine ? Oui certainement, les portables n'étaient pas encore là...


Elle me fait aujourd'hui penser "au téléphone du vent" crée au Japon après un tsunami. Cabine virtuelle qui permet d'appeler les morts et d'être moins triste. Il y a juste une cabine posée là sans aucune connexion. Le reste est dans la tête, dans les sens du corps, dans l'esprit.


J'atteins le gite d'Aire de côte. Un chien de berger au regard fou, que je crois d'abord malade, mais non, vient vers moi. J'aime le regard de ces chiens blancs et noirs qui sont hyperactifs et sauvages.


J'ai déjà parlé de cette aire que j'avais qualifiée de désuète et vestige de temps révolus (avec Puechagut). La météo et la disparition de Del So pourraient se prêter à enfoncer le clou et de dire que la désolation est toujours plus totale dans ce secteur cévenol.

Et ben non.


Je vais vers la porte d'entrée du gîte et surprise, un panneau m'indique qu'il y a de l'eau pour celui qui passe. A l'intérieur. Je serai donc attendu comme le mendiant de la fable ? Incroyable.

Je remplis ma gourde vide. Cela sent le feu de bois, la température est douce. 


Ce Jerrycan il n'est que pour moi. Puisqu'il n'y a personne sur le massif. C'est toi Del So ? Le chien est assis devant la porte, il attend mon départ.

De l'eau, un piano, un feu de bois... Livre de la Genèse...


Plus bas, un arc-en-ciel qui semble indiquer le chemin.




Je parviens rapidement au café du Jardin après 2h15 d'effort depuis le sommet. Connais-tu David de Valleraugue mon cher Bernard ? 

Je n'attend pas ta réponse. Peut-être que tu me le dirais si j'allais retrouver cette cabine téléphonique au fin fond de la France et si j'entamais un dialogue avec toi.


Belle journée en Cévennes. Salut à toi Del So !



Tu a pris le tunnel des Marquaires... ? Tu es avec Abel de Maheux ?




Je te souhaite le soleil exactement...






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