Remontée urbaine dans le temps ? ( 55 km - 02 janvier 2024)

 

Mon petit, on va retrouver Sibade, Valéro et Basirico... Tu as peur ?

Cette après midi ce n'est pas "retour vers le futur". Bien que. Le futur n'est-il pas ce qui sera et ce qui fut ? Plutôt une remontée dans le temps.

N'y voyez pas une dérive nostalgique larmoyante avec le sempiternel " c'était mieux avant" mais plutôt un voyage froid et lucide dans ce monde du révolu. Un déplacement l’œil sec, presque joyeux, car la compréhension de la logique simple presque enfantine de ce qui nous entoure, notamment de l'échelle du temps, peut amener à une certaine forme de bonheur. Une lucidité source de félicité. Oui c'est cela qui est sous-tendu par le déplacement que je me propose vers Montpellier cette après-midi.


En principe, on fuit les villes. Sauf quand on a vingt ans. C'est bête à cet age, on croit qu'il va s'y passer des choses !? Que la nature serait insuffisante et à fuir et qu'ici là et maintenant au milieu des agitations et des immeubles, tout va se goupiller en notre faveur. Que rien ne va bouger, rien ne vieillit, une forme d'éternité dynamique bourrée d'opportunités. Un temps figé. La fameuse fausse immortalité ressentie à cet age. 


La ville déçoit et décevra. Et toujours. Pourquoi ? Parce que nous n'avons pas bien compris. Et elle n'y est pour rien. Le temps s'écoule...Inexorablement. Érosif.

Au diable les espace-temps théoriques du désordre d'un certain Carlo Rovelli.

Pour revenir à mon prisme alors que je vais, en partant de St Mathieu, vers le sud chercher le fameux verrou urbain je réalise que j'ai l'impression d'avoir plus souvent quitté Montpellier en vélo que le contraire. 

On ne fait pas trop de vélo en ville, c'est un outil inadapté, un peu trop rapide et il y faut des qualités de funambule au milieu des voitures... Dangereux. Il est souvent préférable de marcher, ramper, se cacher...

Lorsque j'y habitais mon vélo n'y était pas le bienvenu. Il fallait sortir de ce labyrinthe pour aller loin là-bas. On quittait plutôt la ville.

Étais-je un Erasmus à sacoches en quête d'un resto U avant un Navacelle de week-end ? Non pas du tout. Sinon j'aurais fini Professeur avec Palmes académiques et autres félicitations. 

Que faire sur des pistes cyclables et des trottoirs lorsqu'on rêve de longues distances ?

J' allais plutôt vers le Nord. Il y a un sens et une direction aux choses. Les vecteurs sont orientés par une vérité. La boussole des peuples qui ne seront jamais soumis indique toujours le pôle arctique.

Jules Verne vous l'expliquerait. Je crois que Poutine en est bien conscient. Chateaubriant, Tolstoï  également.

Comme une ville n'a pas souvent de porte d'entrée pour un cycliste, elle en a souvent une autre dite de sortie. Et il faut la connaitre...

Va donc pour les quartiers nord, la bosse du Zoo et la promesse de Montferrier, de la résurgence du Lez au bout d'une petite route...


Cette après midi, si je me suis mal exprimé, la ville m'y est donc un peu interdite. Je ne sais absolument pas par où y entrer. Le temps a passé aussi. Me suis je absenté si longtemps ? Je ne la reconnais plus en vélo. Même la zone du zoo (prise à l'envers donc) est un vaste foutoir de tramway en devenir, de monuments post-Frêchiens en ruines, de centres de formation pour étudiants tous reconnus en état de handicaps, d'impasses provisoires et parfois définitives....

Il me faudra donc improviser et surtout prendre le temps, rallonger si besoin est, pour être en sécurité. Autrement dit, rouler à la vitesse d'un piéton au milieu des tessons de bouteilles et sans percuter personne.

Aujourd'hui, c'est une tétralogie de cimetière que je propose. Un magnifique Père Lachaise bien  éparpillé. Et pour les dates ce ne sera pas dans l'ordre. Que des célébrités, peu ou prou.

Pour se faire, je vais vers cette commune d'Afrique du Nord qu'on appelle Celleneuves, afin d'y (re)trouver les vestiges du magasin de cycles Sibade. 

A mon souvenir c'était une échoppe tout en long avec une odeur de solexine, d'huiles partiellement brûlées où les vélos et les mobylettes étaient en famille, toujours réparées et toujours bon marché... 

Ici on refaisait vivre des corps mécaniques, on était chirurgiens de campagne. Tout était techniquement faisable. Comme en Afrique, vous avez raison. Sibade avait d'ailleurs pour moi ressuscité le Gitane en un Contini de "nouvelle carrière".

Le magasin est là, fermé depuis les années 2000. C'est étrange, il y a encore quelques vélos empilés derrière la vitrine et une espèce de crèche de Noël. Comme un défi à ceux qui passent devant.


Cycles Sibade, il y a encore un solex derrière la vitrine au milieu des rois-mages...


Que dire sinon "Merci Sibade pour ton boulot et respect pour cette blouse que tu portais en permanence"? Je crois qu'elle était grise d'ailleurs. Et que celle de Jean Valéro était bleue ? 

Oui, Gérard tu étais peut-être déjà un peu épicier. Jean était, comment dire ? Plus industriel, plus machine-outil, plus dix neuvième... La blouse ? "L'habit de lumière" de ceux qui sont utiles à la société et travaillent. Le gratuit c'est de la fiction moderne.

Je prends maintenant l'avenue de Lodève sur le trottoir. Quelle sera ma prochaine stèle ?

En descendant vers Plan Cabane, autre lieu du grand continent des éléphants et des hyènes rigolardes s'il en est, je vais stopper devant l'urne du Dr Traian qui est parti foudroyé dans sa jeunesse par la cause d'un mobilier urbain défaillant...

Un cycliste de moins. Une banderole atteste de la disparition de ce Morisson de Clapassous. Je te salue avec respect.

Quand il y a un vélo blanc... respect...

Allons maintenant vers Figuerolles pour la troisième stèle, celle du magasin Valéro. Je reconnais la vitrine à l'empreinte fossilisée de la petite boite aux lettres qui annonçait le calendrier des sortie CTM du dimanche.

L'évolution naturelle des choses qui tend vers un commerce permanent a sévie, la valeur ajoutée est devenue spéculative et verbale... Aucune trace de fabrication, de création. 

On a donc à la place une épicerie. Je ne suis pas surpris. On doit d'ailleurs y vendre une bouffe sans l'ombre d'une production agricole ou très orientée glucose intensif, le carburant d'une pauvreté.

Je salue Jean et Yvonne qui au début des années 90 avaient vendu le magasin à un autre marchand (de quel temple?) beaucoup plus adapté. L'arrière boutique des grandes opérations à cœur ouvert avait rapidement cédé place à des machines à laver...


"Cycles Valéro" sonne aujourd'hui en : "supérette du sud..".

    

Ne restons pas et allons enfin vers les (sur)vivants. Il en reste vers le boulevard Pasteur.

Serge Basirico, vélociste est là assis devant sa grotte, à même le trottoir, regard perdu vers la ligne de tramway. Son magasin est un devenu un étrange dépôt de vieux matériels empilés, inaccessible. Il n'ouvrirait que l'après midi pour rapidement défier la rue sur une chaise, un cigare à la main.  

Les cycles Basirico c'est la même lignée que le magasin Vartanian (de modélisme) plus loin et le restaurant "chez Prosper" qui faisait du couscous (en face)... On parle de préhistoire presque pour les moins de 30 ans. A quoi pense t-il le Serge ? Est-il déçu par l’électrification des êtres et des choses, par la gestion des watts, la collecte permanente des données, par ce goût immodéré à appréhender sa puissance instantanée même en descente...? 

Armand son père avant son départ lui -a t-il transmis une quelconque joie pour affronter ce monde en mouvement ?
Serge est bien un des derniers vélo-cistes à l'ancienne. 

Il est déjà remplacé ça et là par de nouvelles générations et ce n'est finalement pas si triste comme je l'écrivais plus haut. C'est comme ça. 



Rémy (Marty), toi qui vient du futur c'est doc qui te parle...:  "Il est  temps maintenant de dire au revoir à  Serge et de rentrer avec la Deloréen DMC 12 de ta mère...Moi je remonte sur le Cannondale, c'est ma machine à moi pour explorer l'espace et...le temps..." 



  




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