"Que reste t-il à négocier à Clermont l'Herault ?" (22 Octobre 2022 – 111 Km)
Un flipper qui "claque" peut te faire tout perdre sur l'axe du temps... Attention danger ! Crédit : aucoeurdutemps.fr |
Est-il nécessaire de s'attarder sur la petite ville de Clermont L’Hérault ? Pas forcément. Mais si le vélo nous le propose, au milieu d'homologations toutes toujours différentes, toujours plus étonnantes, on va le faire.
Le chemin qui y mène est plaisant : Combe de Morties et sa bosse courte et réputée (pour les non-avertis), le plateau "des feuilles" et ensuite, plus loin, c'est en descente permanente via Puechabon, le Pont du Diable ( où je croise, tiens ! le club ACE de retour des Lavagnes), Lagamas, St André de Sangonis et enfin notre bourgade rurale du jour.
Clermont L'Herault aurait fasciné une de mes anciennes connaissances de vélo qui était un véritable "chasseur de tristesse". Qu'il en était fervent de ces villages à la Macondo ! Le moindre édifice rincé, éboulé, vieux, sale ou témoin d'une quelconque lutte ouvrière le mettait dans un état de fièvre surprenant. On aurait presque crû qu'il était de là et que, de façon tragique, il y avait perdu toute sa famille... Nul doute qu'ici, s'il est d'ailleurs toujours en activité, il doit se poser souvent les yeux embués, la gorge serrée.
Je regrette parfois son regard sur ces choses mais on s'y perdait trop et trop souvent. C'était dangereux et pas très sain il faut le dire.
A Clermont l'Hérault on a l'impression que le temps s'est figé à une époque dont on cherche même l'époque. Sortie de la guerre ?
Je n'ai pas trop de difficulté à décoder ce retour dans le passé. Ici rien ne semble évoluer. Et c'est un peu différent de Ganges qui est plus animée, plus touristique et au pieds de collines cévenoles, ce qui créait un certain caractère qui attire même l'urbain touriste ou le tibétain d'occident. Quand à Lodève qui est au purgatoire, je reste confiant et c'est encore différent.
D'abord, si tu passes à Clermont l'Hérault sans t'arrêter c'est que tu vas où ? Il y a rien derrière. Bédarieux ? OK mais c'est un autre Clermont l'Herault et on en reparlera.
Ce n'est pas un lieu de passage, non. Et ne me parlez pas de la petite Villeneuvette qui n'attire que quelques nostalgiques d'une période industrielle devenue très artisanale. Juste une promenade dominicale pour les habitants de la plaine. Le Salagou ? On préfère passer par Cartels non ? C'est plus direct et puis l'A75 nous propulse. Moureze ?.Allez, si vous voulez.
D'ailleurs pour l'A75 qui passe à 2 Kms à peine, Clermont l'Herault a crée une magnifique zone commerciale qui est un véritable rempart construit pour éviter le bourg et sa veille gare, ses vieux commerces. Ce n'est pas très gentil et le mot est faible. Pratique certainement mais cela vide totalement le bourg.
C'est touchant parfois ces magasins dont on a jamais refait la façade. Des magasins "de famille" et de juste quelques familles. De cousins en cousins.
Ici par exemple, Barral est omniprésent. Si tu es perdu dis simplement que tu connais les Barral. Barral est partout, c'est que Barral doit en "posséder du bien". Je cherche aussi le "magasin Radiola", ou la quincaillerie à Opinels de mon enfance...
Magnifique échoppe du seigneur des lieux... Crédit : BL |
Je passe devant la cathédrale. On l'appellera comme ça (en fait collégiale). Elle semble jurer au milieu des ces maisons par son immensité. Ici c'est plutôt "le Nom de la Rose", avec ces moines qui fuient sous tes roues, dans des ruelles latérales, penchées et obscures...Il doit y avoir des ghettos, des lieux fermés, on hésite à prendre quelques ruelles étroites avec le Cyfac, de peur d'être happé dans un monde à la "Victor Hugo", une cour des miracles.
Pour ce que sont mes souvenirs, ici, je n'ai qu'assisté à des enterrements. Ce qui en ce jour un peu humide ajoute à la tristesse. "C'est Chouette" dirait l'autre aussi. Un tristesse positive ?
Heureusement (ou pas ) on s'y marie aussi. Et le spectacle ne vient pas des mariés mais des convives. Les hommes ? Des toréadors à chaussures neuves cirées, pointues, bruyantes, une pointure au dessus, pantalons à pinces, chemises blanches et gourmettes. Les femmes ? Des Andalouses en shorts avec tatouages, force rouge à lèvre et une assurance bien provocante... Les enfants ? Bientôt au bar, là juste à coté amené par le tonton rebelle (un par famille).
Natura 2000 s'y est installé jusqu’à Lodève pour protéger tous ces "drôles d'oiseaux".
Ici on aime le col du Perthus et ses échoppes, véritable destination des familles.Ici on va bailler au loto à Jambons crus, on parle chasse, on manipule le tarot, on fait ses courses au PMU et la famille adhère toujours à la coopérative pour faire un peu communiste et "fourguer" quelques raisins.
Des panneaux indiquent des naturopathes, coachs de vie. Cela fait penser un peu à la Suisse mais sans l'argent. Ici l'argent, même s'il y en a pas , il est en liquide et pas chez "ce voleur de banquier". Il n'est pas dans un coffre mais sous une paillasse derrière une grosse pierre.
Dans les banques à la ville il y a ce fils, celui qui a eu le bac et fait son droit (l'équivalent du séminaire). Mais on l'aime quand même. On redoute parfois son aspect traître, il pourrait changer de village.
D'ailleurs la psychanalyse et le développement personnel cottoient les arts martiaux et sur un même lieu. Forme de choix binaire pour évoluer face aux dangers de la vie.
Une certaine rudesse qui est personnifiée aussi par la famille Garcia et ses haltérophiles. Il y a quarante ans je venais ici en 4L voir mon frère gagner le trophée des champions des souleveurs de fonte, à la salle de sport. Cela mettait de l'animation. On est proche peut-être de la Roumanie, des pays de l'Est ou de la Turquie. D'ailleurs le Kebab se déclare, sortie du lycée.
Mais où est passé mon frère ? Le cirque continue... Crédit : BL |
Comme en Espagne, c'est une ville du sud construite sur des canaux toujours à sec avec du linge étendu en permanence...
En repartant, je suis "en arrêt" devant "le bistrot des négociants" mais surtout ne m'y arrête pas.
Ce café est maudit et il n'y a vraiment plus rien à négocier ici. Dans les années 90, je me répète peut-être, j'avais fait quelques baby foot ou flipper ici avant d'abandonner le soir vers minuit en Provence, une Diagonale de France (à Esparon)... Le drame en Provence!
"Ça c'est pas possible" aurait dit Ugolin au papet.
Je n'ai pas oublié cet échec (faut-il le faire d'ailleurs puisqu'on ne peut se construire qu'en se relevant d'un fait bien réel accepté pour ce qu'il est ?). J'y ai souvent pensé pour l'exorciser et progresser. C'était une faillite sur un axe du temps. Car sur cette abscisse, il faut savoir prendre les bonnes décisions pour ne pas avoir de regrets. Pouvions nous prendre une bonne décision dans un Clermont l’Hérault hors du temps ?
Nous étions jeunes et fous mais ce café des négociants ne symbolise plus que cela même si il n'est pas responsable mais seulement témoin d'une dérive. L'arrêt d'une époque aussi. On continue donc "sans négocier."
Il a été intégralement refait depuis. A l'instar des tours jumelles de New York, car il faut continuer à vivre... Il est plus baroque, ça sent le neuf "typé Walt Disney" un peu artificiel, bleu papago foncé et cela ne sent plus la cigarette. Adieu les babys foot et autres flippers! Disparus. L'époque décidément a bien changé. J'aimais cet odeur de tabac tiède.
Des nuits, par pleine lune (??), j'entends le flipper "claquer"...Un bruit sourd, étonnant et pourtant apaisant qui donnait notre départ. Avec ce sentiment profond que, "quoi qu'il arrive, nous étions en train de gagner...:)"
Mais, ce n'est qu'un sentiment. Et surtout ne pas le dire à notre jeunesse...
Non, rien il n'y a vraiment plus rien à négocier... Le temps s'est écoulé trop vite et son verdict est sans appel... Crédit : BL |
Bon, comme on dit "il faut rentrer il va commencer à faire froid" et encore, je ne vous ai pas tout dit sur Clermont l'Herault. Vous imaginez bien que je dois garder quelques secrets. Des secrets qui feraient bien plaisir à Pagnol. C'est certain. Un mélange de bonheur et de tristesse. La vie à Clermont l'Herault tout simplement qui continue sans "te calculer" toi et ta bécane.
Un regard au loin, vers les cyprès. Ah oui j'oubliais, le cimetière...Une autre fois.
J'enfile les bleds St André, Lagamas, St Jean de Fos, le pont du Diable et le mur d'Aniane pour remonter et sortir de la plaine. Retourner vers mes montagnes relatives.
Oui, "on dirait le Sud"... Le temps du bon temps ? C'est discutable... Mais surtout ne pas négocier, il est trop tard... Crédit :BL |