A chacun son Garlaban... ( 267 Km - 16 avril 2022 )
Au dessus de Pélissanne se dressent les contreforts de Garlaban... C'est là que tout commence...Credit BL |
Il est 7h ce matin, c'est l'heure de remonter le temps.
Plus de 250 bornes au programme. Même si le terrain est plat il impose un peu le respect. En fait, je ne sais pas la distance de mon projet d'aujourd'hui. Je n'ai, vous l'avez bien compris pas fait de trace GPS et autre suivi satellite préalables.
Je pense qu'il y a plus de 200 bornes c'est certain. Un aller retour St Mathieu – Pélissanne en traversant le Rhône.
Je suis coutumier de ce genre de sorties en ce moment pour vérifier quelques impressions de mémoire, faire quelques calages sensoriels sur un passé englouti. "Quand on se souviens de souvenirs, on ne se souviens de rien". Il est temps d'agir. Je vais donc me confronter à une réalité oubliée peut-être.
Destination Pélissanne et la maison de mes huit premières années d'enfance.
Pour y parvenir, je cherche la route la plus "safe" et j'ai mis mon baudrier car je vais croiser du monde et c'est un peu compliqué..
Sommières puis, la voie verte jusqu'à Langlade... Bernis, Aubord, Générac pour arriver incognito par le nord à St Gilles, étrange ville ouvrière de Camargue avec sa banlieue et son délabrement organisé. Remonter ensuite la petite route des pèlerins de Compostelle via Stanislas au milieu des moustiques, affamés toute l'année désormais.
Sur ce chemin de pèlerinage que je remonte, je discute avec un impétrant qui vient de quitter Arles. Il semble inconscient et lourd (surtout le sac). Il sera n'en doutons pas, s'il parvient à destination, ultra-lucide et léger. C'est le but du truc.
Trinquetaille, puis le pont sur le Rhône, c'est le bon verrou cycliste. Les voitures y sont à l'arrêt... Une espèce de féria Provençale est en cours avec marchands du temple et tout le reste. Je jongle au milieu des bagnoles et évite le boulevard des Lices en prenant une parallèle qui mène à la route de Raphèles.
Faut-il sortir du trafic ?
"L'ignoble linéaire de la Crau" m'attend... Plus de 30 bornes. Cette route bien droite et plate avec les cyprès un peu obliques m'a toujours laissé perplexe. Ici le vent latéral t'amène directement en Afrique. Je l'ai parcourue très souvent, Tour de Corse, liaisons de voyages Alpins, Brevets, Diagonales etc... C'est le plus court chemin pour Salon ou Arles et cela a un prix. Je pense cette fois pouvoir m'en échapper en prenant la voie de service qui longe l'autoroute (via di servicio en espagnol).
Le début de l'ignoble linéaire... finalement magnifique...Crédit BL |
C'est vrai, sur cette voie optionnelle il n'y a personne et c'est sans danger mais justement, c'est d'un ennui !! Et c'est désolé et désolant. Seuls quelques convois d'ouvriers agricoles passent, une ambiance de réchauffement climatique et d'isolement. J'hésite régulièrement à passer sous l'autoroute pour rejoindre la route primitive, le chemin de tout le monde. Je n'aurai jamais dû quitter le trafic, j'y ai ma place et je ne vois pas pourquoi je me prive des routes historiques. Promis, au retour, je prendrai la route des voitures, celle de la liberté.
Je m'en veux d'avoir écouté les conseils de l'Europe du Biking innovant.
L' historique "trahison de Miramas"
L'isolement me pousse à repenser à ce Pâques en Provence du 03 avril 1988 qui m'avait mis là pour un peu le même bornage. On parle de "la trahison originelle de Miramas". Etant parti seul de Montpellier alors que les "copains de club" (CTM) m'avaient posé "un énorme lapin" n'honorant pas la rencontre de 5h au stade Richter de Montpellier. J'ai attendu longtemps à la sortie de la ville la "non rencontre.".. Pour faire simple, le CTM était un club sans aucune intégrité sans aucune fidélité. D'ailleurs deux ans plus tard le Président recevait ma lettre recommandée de son licenciement de mon entreprise de liberté, lui avec toute sa clique des bobos de l'après et avant guerre. J'en parle tranquille parce qu'on se construit aussi sur de nombreuses trahisons qui nous accompagnent toute la vie. Face à la trahison, une seule issue : l'action. On parle aussi "d'action - réaction".
Me voilà à Salon, cet Aubagne de base aérienne. Fontaine moussue et rond point spécial " Papa Lima Tango Charlie" pour parvenir enfin à Pélissanne.
Salon de Provence - Crédit BL |
Garlaban...
Que reste t'il de notre enfance ? Beaucoup de choses qui se ressentent. Les premiers jours de la vie sont inscrits dans une mémoire fondamentale interne susceptible d'orienter notre rapport au monde ensuite. Ce petit village Provençal possède beaucoup d'ingrédients que Pagnol ne renierait pas. Des ruisseaux (Touloubre), des Oliviers, de jolies maisons, une église de minuits chrétiens avec des tableaux et une odeur d'encens (unique!), des collines un peu escarpées où l'on est immergé dans les senteurs de thym, romarins au milieu des bestioles.
On est aussi en périphérie de Salon la ville. Et c'est important. C'est cette tension entre la ville proche et l'isolement primitif des collines qui fait le récit de Pagnol. Cette espèce de choix proposé en permanence. Aubagne et Marseille ou les collines de Garlaban ? Salon, sa base aérienne et ses petits notables endimanchés ou le massif du Tallagard avec ses dents fossilisés, ses serpents et ses hibous ? La reconnaissance des hommes ? Ou le refuge de la nature sans la moindre trahison. C'est le dilemne de Marcel. Le mien aussi après reflexion. Marcel devait-il rejoindre la route des petites trahisons ? Avait on menti à Marcel ?
Bon ce n'est pas le tout mais il faut rentrer, volume kilométrique oblige. Ne pas s'attarder. J'ai flâné quand même une heure dans le village et ses environs (route d'Aurons).
Comme pour Compostelle, l'itinéraire physique de mon pèlerinage est nul. Mais ne dit-on pas que plus la route est malaisée et médiocre, plus le chemin intérieur est magnifique ? Donc je vais rentrer par ces lignes droites, ces rond points, ces dos d'âne, au milieu des bagnoles et cette voie verte de Langlade. Un retour unidirectionnel. Une trajectoire binaire. Aller vers Pélissanne et en revenir. Un tracé qu'aurait pu envisager le responsable des "déplacements doux" derrière un écran informatique de son bureau des collectivités locales. Sauf que le mien de tracé est dangereux, imprévisible. Lui, sans scrupules, le doigt levé, m'aurait planté sur la Via Rhona pour me noyer au large de Piemanson sous les yeux des derniers hippies défoncés de la génération de ses parents, me demandant d'oublier La Crau et ce magnifique retour à la source de Manon.
Ce qui est étonnant c'est que les murmures de Garlaban m'ont appris à affronter l'ignoble linéaire de la Crau, la route du trafic, de ne jamais prendre la via di servicio des moutons au bord de l'autoroute. De vivre pleinement la route historique en pleine liberté avec tous ses dangers...
De ne pas m'isoler des voitures, d'aller sur toutes les routes quoi qu'il en coûte. Désormais ce sera le "magnifique linéaire de la Crau..."
Oui une belle journée lumineuse avec le petit Marcel disparu. Il est à mes côté sur un vélo et me sourit.