"Il était une fois" à Sommières... (16 février 25-104 km)
Il y a bien longtemps que je veux écrire un café blog sur Sommières. J'en repousse en permanence la date, le moment. Pourtant, ce n'est pas faute d'y passer ou d'y repasser. La récidive en est même suspecte.
Ai-je le choix alors que je navigue vers l'est ? Il y a comme une attraction vers ce lit du Vidourle qui abrite de nombreuses histoires légèrement humides.
Celles-ci peuplent les souvenirs du cycliste... On se demande parfois si elles ont vraiment existé ces fables ou si ce ne seraient pas plutôt des projections, des cristallisations en un lieu choisi, de quelques grands moments funèbres ou joyeux (ce qui les rend palpables) que j'aurais vécu.
C'est trop proche de chez moi ? Oui très proche en effet. Je fais le job et organise toujours une homologation en boucle (100 km) pour ne pas culpabiliser sur le quantitatif...
J'ai fait des milliers de km en passant par Sommières... Terre de passage comme le sont les territoires, des rêves et du passé.
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Café pris sous le "fleuve"... |
On y arrive toujours en descendant, la ville étant construite dans le lit d'une rivière d'origine cévenole : le Vidourle. Ce qui est inquiétant, c'est qu'on a toujours envie d'y rester dans ce creux. Il serait accueillant. Peut-être...
L'été, on y est bien. Certainement aidé par cette fraîcheur immobilisée là. Une histoire de densité de l'air et d'hygrométrie... Et le Vidourle qui a à cette époque voit son lit un peu plus en amont, totalement souterrain, a toujours de la réserve pour te placer les cafés au bord d'un filet d'eau avec quelques canards. Idiots les canards, bien sûr.
Ce n'est pas une "ville d'eaux" au sens pérenne du terme, puisque l'eau s'en va et s'en vient avec parfois des exubérances fulgurantes mais, la disposition architecturale de l'immense pont de Tibère, celle aussi de ces cafés qui se méfient sous les platanes, te le font croire...
La hauteur des murs du centre médiéval en damier abrite totalement du soleil quel qu'il soit. On est sous l'eau quand bien même il n'y en a pas de l'eau. Il y fait nuit en permanence. Une clarté de marécage. On est dans une empreinte, on y voit parfaitement le fossile.
A Sommières, on pense au passé. Presque toujours. Comme si un éventuel avenir était une infraction, une futile hypothèse et pouvait être soudainement effacé, brutalement. Volé.
Il n'a pas changé depuis l'enfance. A 14 ou 15 ans, voir moins, lorsque nous passions par là à vélo on franchissait comme un octroi, et on payait le souvenir suffisamment cher pour le conserver à vie. C'était la route de Nîmes via Calvisson comme l'avait conçu les Romains. Encore une civilisation effacée brutalement qui nous interpelle. La grande crue de la romanité emportée. Nous allions alors pour les premières vendanges de la vie, le raisin de table...
Il y a aussi cette auberge du Pont Romain massive et stable, symbole d'un XIXeme magnifique. C'est mon dernier souvenir de ce fameux siècle que j'ai certainement idéalisé sans avoir pu, hélas, le connaître. Un souvenir dit "de famille" (encore) regroupée autour de mon grand Père Dupuis, enterré De Puis, au père Lachaise avec tous les météores qui ont éclairé le monde...
Je te salue papi.
Un repas à l'ancienne avec de nombreux plats sans le moindre kebab d'empilage et qui a fini tard dans l'après-midi, mes oncles fumant le cigare autour de leur père. Chacun sentait bien qu'il se passait quelque chose, mais on n'imaginait pas alors que cette chose, on allait bientôt là perdre dans une fantastique déflagration organisée et brutale. L'éparpillement, façon puzzle, de toutes les structures collectives et familiales pour la grande solitude mondiale des machines.
L'auberge du pont est désormais fermée mais ils ont gardé la façade. Je les en remercie. Remercier qui d'ailleurs ?
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Image stable... preuve ultime d'une réalité engloutie... |
Je ne suis pas le seul à être fasciné par ce bourg. Mon cousin Etienne s'y est établi dans une vieille mansarde qui donne juste sur la cour des miracles. Je prends parfois le café avec lui. Il m'explique que par ici, il faut être soi-même et faire la paix avec le monde, que rien n'a d'importance, que ce qui existe n'est surtout pas ce que l'on voit... ce qui existe serait sous l'eau...
Comment en est-il venu à s'installer là au milieu de ce Macondo d'apparence solide juste à côté de "ce frère", celui qui peint, revenu des déserts d'Afrique et des ensorcellements.
Il était là d'ailleurs à l'auberge du Pont Romain pour cette journée familiale. Est-ce un signe que tout se termine ici ? Il faudrait que je lui en parle avant les prochaines inondations du Vidourle qui sont finalement comme celles de la vie. Un flux et reflux qui effacent, réparent et ne rendent jamais les corps. Que les esprits. Si on est à l'écoute...
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Pourquoi Sommières mon cousin ? Tu as des choses à nous dire ? |
On a la sensation ici que le monde réel est un monde englouti, lacustre. On s'accroche à la vie en montant sur le pont vers l'horloge. Les maisons elle-mêmes se sont progressivement construites sur l'ouvrage, preuve que la ville est au-dessous du niveau de l'irréalité environnante.
Un Ponte Vecchio qui ressemble à un ponton ! Le fameux "ponton impasse" qui mène nulle part et qu'on a envie de suivre et pourquoi pas dans les deux sens ce qui reste identique à rester sur place quoi qu'on fasse.
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Le ponton des espoirs, ou des soupirs ?... |
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Tu crois prendre un ponton pour aller quelque part mais tu es déjà englouti, sous l'eau... |
Ici, tu trouves du Jazz (Corner café), des livres (bouquiniste) et un grand marché pour la bonne chair le samedi à côté des brocantes qui recyclent aussi le passé par ustensiles interposés.
Mais le plus important est "peut-être" ailleurs et "à quoi bon" et " pourquoi pas " ?
En 1976, je me vois à vélo (déjà et toujours) sur la grande esplanade à Platanes au bord du Vidourle. Il y avait le groupe "Il était une fois" qui devait se produire dans la soirée. C'était étonnant de passer là juste avant le concert. Le groupe à l'époque faisait la tournée des villages, il n'y avait pas encore les Zénith et le reste. La musique populaire de village et du partage des sentiments qui défie le temps et les montres et sauve les hommes.
Je n'ai pas vu le concert, il était tard. Il fallait rentrer. Retrouver les règles et les pensionnats. J'étais trop jeune. Je n'étais rien. J'étais fauché.
Et je me suis dit que je reviendrai certainement à Sommières pour comprendre les crues hydrauliques de la vie, pour avoir une nouvelle chance...
Comprendre, à l'occasion aussi, le départ de Joëlle que je n'ai jamais rencontré.