Say it ain't so... (15 Octobre 2023 - 23 Km)

 

"Non, je n'y crois pas..." C'est pourtant Jésus...

Encore un recto verso. Parcourir le chemin, tous les chemins en sens inverse est rédempteur, salvateur, du moins curieux à minima... Le 24 septembre dernier déjà je refaisais la boucle "4000 Marches- Aire de cote" qui sied tant aux trailers et autres randonneurs qui s'interdisent cette voiture garée à l'observatoire. Bon ils ne savent pas qu'ils peuvent aussi redescendre en stop ce qui est un magnifique covoiturage à bilan carbone optimisé. En descente d'ailleurs le moteur trouve un excellent compromis usure des frein (moteur) - consommation.



Oui voir ou revoir Aire de Cote dans sa désolation et sa solitude toujours plus étonnante est une joie. C'est un parking campagnard désert. On y passe comme on longe une épave en sortie d'une tempête de hêtres et autres châtaigniers. Beaucoup ne s'y arrêtent pas et ne font pas les derniers inutiles 100 mètres devant le granit froid des murs abandonnés.


Il se trouve que l'été indien même n'existe plus. Moi je sais que les Indiens ont été exterminés par la naissance des "démocraties mondiales". Alors l'été à fortiori indien mais c'est quoi cette plaisanterie !? Bientôt on va me parler aussi de fantastiques colorations de forêts comme aux Adirondacks, cette région au nord des tours jumelles et au sud des méga feux canadiens.

Je m'égare.


Oui j'ai un peu un regard latéral, je ne vais pas à "Aire de Cote" mais plutôt à "Aire de coté"... Un peu comme mes incursions à Puechagut?, cette promesse vaine de protection et de rédemption des baptêmes cyclistes.


Je ne suis pas Sisyphe, c'est seulement un ami que je connais bien et tous les deux nous nous entraînons sans relâche pour après. Ou pour rien. Epithape promis sur ma tombe : "A beaucoup roulé... et s'est beaucoup entraîné..."

Rien de plus. Si, quelques châtaignes posées sur le marbre... et cela le fera.

Attention pas des marrons! Du comestible.

Tout commence, en sortie de Valleraugue, pas un chemin opposé au GR des fameuses "4000". Il semble ici que L'Aigoual se prenne ou s'apprivoise en allant vers la mer... Déroutant ? Non magique. On sort de la logique et on va à l'opposé des mouvements statistiques, des drailles à mouton. Sur ce chemin on est un dimanche mais ce n'est pas un chemin du dimanche. Sauvage, inexploré, je le mesure à ces châtaignes intactes et bien grosses non ramassées, à ce mur éboulé au milieu du sentier que personne n'a touché, à quelques végétaux intrépides qui traversent. Si des cailloux veulent faire la sieste au milieu de ta route, tu ne rechignes pas et tu les évites...


C'est le sentier qui décide, tu t'adaptes...

On va maintenant vers le Lozère, vers le nord. Cette destination pourrait elle être un nouveau refuge, l'Aigoual ayant trahi, je l'ai déjà écrit dans ce blog. Il y a cette prairie en pente, celle des rencontres et des déjeuners au pré...puis la route du col du Pas. La magnifique croix blanche des cyclistes en Cévennes. 








On reprend de la minéralité pour retrouver Aire de cote, l'endroit de la "non rencontre", des promesses de l'après-guerre trahies. D'ailleurs toi le maquisard qui a ta plaque ici, qu'en pense tu ? Tout ça pour ça ?


Le replat des solitudes sur des lignes dites pourtant "de Partage"...


Il semblerait qu'il y ait des champignons pourtant il n'a pas plu depuis si longtemps. La moisissure s'adapte ? Je retrouve bien la crête qui désormais va vers l'ouest presque parallèle aux sentes connues des bandes de fraternité Erasmus des facultés de Montpellier. Je m'y arrête pour pique -niquer quelques produit de Valleraugue. Je fais fonctionner au maximum le petit commerce locale. On ne va quand même pas aller à Intermarché et transporter sa bouffe. Un peu de respect.


Au début je cherche un endroit abrité du vent puis décide qu'on est mieux dans le vent, que c'est un ami. Pourquoi quitter même provisoirement ce que l'on cherche en permanence toute sa vie ?


Voilà les derniers kilomètres, le promontoire sous l'observatoire et l'arrivée. Il y a moins de monde qu'il y a 3 semaines mais il me sera toujours impossible d'avoir un café, balise convivial d'une conquête de jeu.


Je regarde souvent vers le Nord, c'est grave Docteur ?


La redescente ne tarde pas, je n'ai pas trop de dialogues à envisager avec ces quelques motards dont la vie n'est qu'une trajectoire de bruit et de pétrole.


L'exploitation optimale des bâtons permet des descentes " flash éclair" à la limite de la chute. Je le mesure encore à 61 ans. Suis-je un papy funambule ? Je double, les yeux mi-clos, comme dans un rêve, tous ces trentenaires barbus, thésards en semaine dont les orgasmes sont multiculturels et ces nanas qui rêvent d'être dans the Voice ou approchée par un youtuber influant qui a le pouce levé.


Enfin je récupère les faïsses d'arbre à pain. Les poignées de châtaignes qu'Abel Reilhan utilisait pour creuser un trou m'attendent. Quel plaisir génétique que celui du chasseur cueilleur.


Puis encore chuter, dégringoler sur les derniers toits de Valleraugue. Arriver par le haut comme cette crue également de 2020 qui avait emporté quelques vies.

J'aime beaucoup ce village, c'est un endroit calme au nord de tout. Peut-être un peu froid et austère quand même. L'ombre y a sa place. L'ascension cycliste du Mt Aigoual s'y fait par une belle route avec des lacets, donc humaine. Sur cette trajectoire, dans les années 70,  on pouvait mesurer visuellement l'épaisseur de neige corrélée avec l'altitude. Le repère altimétrique pour les explorateurs : l'épaisseur de neige, l'entrée dans un monde nouveau, presque interdit, blanc, immaculé sans la moindre triche. Silencieux surtout.


De l'autre côté, derrière une immense muraille il y a la plaine du Vigan. Depuis des décennies je déambule d'une vallée à l'autre me créant des souvenirs au milieu d'autres souvenirs. La vallée du Vigan est vraiment différente. Plus large, encombrée, ce qui est déroutant c'est qu'elle ne mène  pas à grand chose. Elle ouvre ses bras peut-être pour te laisser ensuite seul au café de l'Univers dont j'ai déjà parlé. 


Je pense souvent à mes premières incursions en solitaire dans ce secteur Cévenol, à ces rituels de ce passage à l'age adulte nécessaire.

En 1983, le 21 septembre précisément je m'arrêtais en sortie du Vigan sur un pont pour manger quelques victuailles lors d'un week-end Cévenol (avec nuit à l'observatoire).


Un gars s'est approché de moi et m'a parlé se présentant comme étant "le batteur des Rolling Stone" en répétitions dans le coin. J'ai discuté un moment avec lui. Tout semblait vrai. Était ce Charlie Watts ? Non peut-être pas. Une doublure ? Un batteur à la pige pour remplacer Charlie Watt ? Je n'ai jamais su. Je l'ai cru voilà tout. Croire ne suffit-il pas ? Oui ce n'est pas la réalité qui est importante mais la croyance à une réalité qui est au fond de toi.


Longtemps j'ai pensé à cette rencontre qui comme toute les rencontres sont inachevées imparfaites, voire inexistantes, irréelles. Je l'ai analysé comme un cadeau de début de vie. Une porte. Peut-être refermée d'ailleurs mais qu'allais je faire de l'autre côté...?


Dans cette autre vallée plus ensoleillée il y avait donc les Rolling Stone et je suis passé au milieu d'une vision, d'un rêve...Ce batteur était-il une création de mon esprit en quête de tous les possibles ?


En vélo, on passe souvent on s'arrête rarement. Peut-être que je l'ai payé ensuite et que la vallée m'en a voulu de ne pas comprendre ce passage du 21 septembre 83. Qui sait? J'aime aussi l'imaginer. Ne sommes nous pas des feuilles sèches à la merci de vents catabatiques que l'on voudrait dompter... Quelle prétention!


Belle journée aujourd'hui. Ce soir je ferai griller quelques châtaignes. "J'ai fait mon sport" comme on disait avant. Un petit Monaco au café du Jardin que je trouve sympa. Il est dans la lignée de celui "des Autobus" de St Martin de Londres, toujours enseveli par les crues, mais toujours debout, un lieux de résilience... Et puis d'ici je peux surveiller le pont. C'est important la surveillance des ponts même si cela s'est un peu perdu. Un café est toujours un sas de décompression pour réfléchir  à ce qui nous a amené là. Si je vivais à Paris je crois que j'y passerai mon temps dans les cafés, il y a tellement de bistrots et d'histoires à raconter ou à imaginer. Oui j'aurais pu vivre dans Paris même pour ne rien y faire... Voir passer le monde suffit.


A la table d'en face il y a 3 personnes qui gesticulent, semblent affairées, dans une certaine émotion. Que trament t'ils ? Et qui est donc ce "Mickey" rigolo et enjoué, face à moi , encore plein de charme et de vie qui ressemble à un artiste, un philosophe, un vieux dragueur efficace que j'aurais pu rencontrer il y a quatre décennies au pensionnat de Sète.


Lily et moi à cette époque nous connaissions un "Jésus" très charismatique qui "devait en tomber des femmes". Alors que nous tentions nous de résoudre les problèmes de pendule de notre prof de physique, lui écrivait des textes, de la prose et des poèmes...Je le jalousais secrètement, quelque chose m'échappait et qui n'était pas écrit dans "science et avenir"... Il avait raison. Nous nous travaillions pour le chemin de fer et lui ...pour l'éternité.



" On n'arrive à la création des peuples que par les routes du ciel, les chemins du fer nous conduisent seulement avec plus de rapidité à l’abîme..." (Chateaubriand).


Oui, secrètement je voudrais terriblement avoir été l'ami de cet homme. Toutes ces femmes croisées, toutes ces émotions éternelles vécues non mesurables par les métrologues de rase motte, cette liberté de pensée, cette capacité d'aller et venir, de créer...


Comment ne pas citer Modiano, pensionnaire aussi dans "De si braves garçons". Ne suis je pas Philippe Yotlande ? Le temps a passé c'est certain et exige analyse.


" Les clients étaient peu nombreux à la terrasse. Au fond, à gauche il aperçut Mickey du Pam Pam et ne put s'empêcher de contempler, étincelante sous les néons, sa chevelure blonde platine, la vague qu'elle formait au dessus de son front, et les ondulations qui lui imprimaient un mouvement tourmenté jusqu'à la nuque. Mickey était fidèle à sa coiffure de Jeunesse...


A la dérobée Yotlande observait ce vieux jeune homme de soixante ans, seul à sa table, la tête inclinée sous le poids de sa chevelure teinte. A quoi rêvait ce soir Mickey de Pam Pam ? Et pourquoi certaines personnes restent elles, jusque dans leur vieillesse, prisonnière d'une époque, d'une seule année de leur vie, et deviennent-elles peu à peu la caricature décrépite de ce qu'elles furent au zénith ? "


Et si finalement c'était moi Mickey ? Prisonnier d'un passé, d'une année. Mais qui m'observe ? Suis-je dans le cerveau d'un écrivain comme Modiano ? Suis-je dans un Truman show avec des acteurs ?


Quand même je connais cet homme, il n'y a pas de doute.



Face à moi, ne serait-ce pas Murray Head avec son écharpe ? Au début je pense à une ressemblance frappante mais j'ai tellement analysé ce visage sur des vidéos récentes de l'artiste qu'il n'y a pas de doute c'est bien lui. Un autographe ? Non. Dérisoire. Trop tard même...Oui c'est trop tard. Je vais juste le regarder et le photographier discrètement. Oui une photo de preuve. C'est important. Souvenons nous de Ueli Steck cet alpiniste qui ne prouvait pas ses exploits. Il avait peut-être raison, cela ne regardait que lui mais on lui en veut. On a bien retrouvé son cadavre quand il est tombé enfin en Himalaya. Il faut des preuves pour faire les deuils. Le batteur des Rolling Stone je n'ai que des souvenirs de souvenirs... autant dire pas grand chose. Là je progresse.


Es-tu Murray ou sa caricature décrépite...? Es-tu prisonnier toi aussi d'une époque ? 



Comme c'est étrange donc presque écrit. En 1983 dans l'autre vallée, juste derrière, une vallée plus ouverte comme les plus magnifiques culs de sac, j'avais croisé un batteur ... A vélo. A la faveur d'un arrêt bien sûr. Il faut s'arrêter pour faire le point sur la pellicule du film de la vie. Un détail peut vous échapper quand ça tourne, un détail fantastique qui transforme le film même de façon subliminale.

J'ai souvent pensé à ce souvenir fugace. A sa signification.


Murray Head j'ai commencé à l'écouter dans les années 80 mais après 1983, une ou deux années après...

Que fait-il ici ? Que fais je ici ? Ne serait-ce pas lui qui m'observe ? Je suis le "Mickey du Jardin" à Valleraugue, caricature décrépite d'un pseudo-aventurier avec bâtons, bivouacs et autres cordelettes en chanvre...

Il est peut être aussi la pour m'apaiser... Pour prouver que tout est bien vrai. Pour dire que ce monde des artistes gravite autour de nous et ne nous quitte jamais. Pour dire qu'on est sur la même planète, que nous sommes tous des artistes.

Et puis moi je me sens tellement intermittent du spectacle depuis toutes ces années, que ma sensibilité va vers cet homme, que je le comprends sans lui parler, que je fais partie de sa famille... Des artistes qui durent pour rencontrer parfois dans des bars de campagne.


Allez il est temps de se lever. Sac à dos, bâtons. Au revoir messieurs dame. Un regard peut-être ? Et si c'était lui qui m'attendait ? Va t-il m’empêcher de sortir du café ? Je crois avoir ralenti la pas pour m'en aller doucement, lui laisser le temps de s'interposer face à ma lâcheté. Comme le ferait peut-être ce "Jésus de Saint Joseph", ce "Jésus du Dauphin" à Sète, qui me manque aujourd'hui et que j'aurais aimé suivre. Qu'es-tu devenu ?

Non je ne vais surtout pas lui parler. Pourquoi me direz-vous ? Pour avoir ce regret simplement plus tard.

Ainsi va la vie des hommes.






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