Dis-moi Abel Reilhan, ce tunnel a-t-il une utilité ou une signification ? (02 juillet 23 - 167 Km)

 Il suffisait de descendre de là-haut, de se laisser "glisser" le long de ce chemin 
descendant de Jalcreste et la vie aurait été définitivement autre...
Mais c'est plus compliqué il me semble...- Florac.

Crédit : BL

 


Anduze 7h. Je ne vais pas encore parler de ces toboggans cévenols cyclistes dits des "années sauvages", ces grandes chevauchées révolues... Non, il faut regarder devant soi, devant le cintre du guidon. C'est là  aujourd'hui et maintenant.

La température est clémente et toujours pas de canicule à l'horizon dégagé ; seulement une chaleur connue et supportable venant du sud qui va monter doucement. Un thermique qui fait  fermer les volets naturellement et depuis longtemps vers 9h du matin. Je vais m' habituer doucement aux températures croissantes, le jour passant et les kilomètres eux trépassants. Quelques pluies récentes ont changées la donne, la physionomie d'un Gardon navigable est donnée et c'est appréciable. Les villageois pourront "se baquer" dans les marmites et plonger des falaises calcaires sous un soleil éclatant.


Pour atteindre St Jean du Gard, je ne veux pas passer par le direct de Thoiras qui est une route d'hiver mais plutôt par la vallée de Mialet, beaucoup moins fréquentée en été. C'est l'occasion aussi de passer au large du mas Soubeyran et de franchir les Abarines sur un autre Gardon.


Ce sont les Cévennes du dimanche mais en semaine elles seraient les mêmes. L'austérité constante des choses dans ce secteur se conjugue de façon continue sur l'axe du temps. On commence à les connaitre d'ailleurs ces montagnes à châtaignes, à force de les parcourir et de les vivre aussi d'une certaine façon.

Jean Carrière en 1972 fut récompensé pour sa vision des lieux. Je la partage. Elle me convient parfaitement. En Cévennes, on y laisse toujours quelque chose. Parfois la vie. D'ailleurs, pour convoquer des références, le grand Valéro alias "le Jean", cycliste (ex vélociste) et désormais satellisé dans les nuages des hauts plateaux, disait : " les Cévennes c'est trop dur et même par grand beau temps"... Qu'en auraient dit les Plaine et Vélocio, autres ravis médiatiques de la crèche du bitume ? Les moyennes chutent inexorablement dans le secteur, et s'en est presque indécent et pour tout dire totalement irrationnel. On irait vers un état de repos et pourquoi pas définitif.


Je ne chantonne pas dans cette vallée de Mialet mais l'esprit y est, le cœur aussi. D'autres échos fantômes me parviennent des ces années "Ruisseaux et autres Gardonnenque" C'est le début de la vallée Française, une route de vacances, on dit villégiature mais cela veut dire quoi un lieu de repos ? Il y a un calme relatif et le vent qui souffle plus haut de l'ouest sur ces nuages, ne m'atteint que par intermittence.

La progression se fait pour aboutir à St Etienne et prendre un café allongé. 

Je me surprend à rester en terrasse très longtemps. On ne m'attend plus depuis belle lurette et je crois même que c'est la définition de la liberté dans le Littré. Ne pas être attendu et surtout n'attendre rien...

 Le patron prend son café à côté de moi, sans "me calculer" semble-t-il. Un instant me prend l'idée saugrenue de lui parler. Mais à peine une micro-seconde seulement. Lui demander quoi ? La météo ? L'heure qu'il est (le summum) ? Où on est ? On a rien à se dire c'est évident. Et c'est très bien. J'ai une effroyable envie d'être seul et lui aussi puisqu'il habite et travaille dans ce village perdu. Le fait de ne pas se parler nous donne, disons, comme une connivence complice. On a rien à se dire et on le partage. C'est possible. Il y a des ondes de négation des vibrations inutiles et autres tumultes dérisoires ce qui explique ces panneaux "anti-5g" croisés parfois. Cela correspond aux Cévennes. 

Le détour de St Germain de Calberte est obligatoire. A l'entrée déjà, je suis fasciné par la façade de cet hôtel restaurant fermé et de son passé imaginé. Le photographe Romain Thiery, spécialiste des effondrements érosifs pourrait s'inspirer de ce genre de tableau qui n'a rien à envier à ceux avec ses fameux pianos abandonnés. Je réalise aussi qu'en vélo tu peux faire un peu d'urbex sans le savoir,  cherchant à remonter le temps en visitant les faillites humaines... Les réussites aussi mais on en parlera plus tard, pas maintenant. A ce propos, qui ira donc à Monoblet photographier l'auberge du Major où les adeptes de la bouillabaisse et des  charcuteries ont disparus, aspirés brutalement dans une trappe du temps en décembre dernier ?

Il y a de magnifiques murs de pierres sèches partout, on travaillait pour l'éternité par ici. Peut-être pour rien.

Regardez ces couleurs... C'est la rouille ? L'ocre de l'érosion...
Moi j'y mettrais un piano droit sur le côté le long du mur...


Pas le choix dans le secteur, si t'es fainéant t'es plus là... On monte des murs, 
toujours des murs pour ne pas tomber...
Crédit : BL


Fontmort m'attend. D'abord une belle longue corniche qui regarde l'autre corniche dite des Cévennes. Fontmort cela ne s'invente pas. La mort est partout. La fontaine morte ? Plus d'eau ? Le mort de l'eau ? 

Jean carrière disait bien que par ici, sur les hauts plateaux, c'était la mort qui présidait avec, à sa droite l'ennui et à sa gauche l'inutilité. Font Mort, Mazels de mort, ... et des cyclistes à 10 à l'heure en sursis, bientôt refroidis ?

Je ne sais pas pourquoi mais au Plan de Fontmort, il y a toujours une famille qui pique nique juste à côté de la voiture garée. Le père dit aux enfants dès le milieu d'après midi, ces bambins qui ont mis quelques coups de pied "pour de faux" aux vieilles bogues de chataignes de l'automne dernier, : " les petits, il faut maintenant rentrer... il va faire froid !!". 

Et oui quand bien même on est en juillet !?

Le froid n'est pas lié à la température mais disons à une certaine forme d'isolement et de dureté. A une sensation d'être en sursis quelque part en un lieu où il ne faut pas vraiment se relâcher...

Je m'emploie encore un peu pour atteindre Barre car ça monte toujours. Le col de l'Houmenet isolé m'attend. Ce fameux passage qui mène au Bougès et précisément à Mazel de Mort, un endroit central et terrible décrit par Jean Carrière dans son roman. Certes il y avait pire que Mazel, cela s’appelait Maheux. Maheux oui et cela s'écrit sans eau. 


Au carrefour du col, j'hésite à gauche bon ben c'est.. l'ennui avec St Julien d'Arpaon, et à droite... l'inutilité avec Malhautier. 

Un tout droit serait l'essentiel et Mazel de Mort qui cache un Maheux de fiction mais je ne trouve pas la piste. Ce ne doit être ni mon heure ni le jour comme est écrit sur le cadran solaire de Bourras...

Je reviendrai. Et peut-être pas d'ailleurs. Pour y faire quoi ? J'ai lu le livre non ? Non je l'ai pas lu, je l'ai compris. Nuance.


C'est maintenant qu'il faut regarder le ciel et attendre l'épervier...

Le rapace va passer, n'en doutons pas... Il est dans le secteur... Il t'attend. Nous attend tous.
Crédit : BL

Par trois fois, fait du hasard ?, il y aura la rencontre avec un rapace monumental . D'abord une ombre qui traverse la route confirmée dans le ciel, ensuite un regard perçant posé sur une branche et, enfin, plus bas au dessus de St Julien le fameux  vol plané magnifique sur une Patagonie de forêts et de landes.

Ce sont plutôt des buses que des éperviers mais la symbolique est là. Cet oiseau c'est l'inutile vanité expliquée. Tu chemines de façon inutile, tout est vain et un jour, l’œil du ciel fondra sur sa proie, toi en l’occurrence et tu seras englouti par la mort. Belle issue. On le souhaite le plus tard possible. La statue du commandeur n'est peut-être pas pressée...


St Julien d'Arpaon, ce village qu'on voudrait joyeux et accueillant  on en sera que davantage déçu. Il n'y a rien ici. Rien. La joie n'est qu'un désir humain. L'accueil une notion pas très pérenne semble-t-il, voire inexistante.


Pourtant on est dans la vallée des hommes, entre deux cols, et ce serait une belle idée, un beau répit que d'avoir ici une trêve. Tous les cyclistes et de tous le toboggans se demandent toujours pourquoi il n'y a rien ici. Une école fermée ? Mais pour qui pourquoi ? Comment se ravitailler ? A Alès, disait Carrière, dans le bassin minier des esclaves, c'était autrement plus sympa. Zola c'est de la petite littérature de tristesse. Si Emile était venu à St Julien d'Arpaon, il aurait mesuré le néant et brûlé le manuscrit de Germinal... Il repenserait même toute la série des Rougons qui deviendrait celle des Rugueux...

Je glisse vers Florac et cette petite allée Paul Riquet de Province tout en long. Un instant de fraîcheur et de répit. S'il y a des platanes c'est que Pagnol n'est pas loin non ? Un semblant de vie. Florac 3 rivières. J'admire cette eau essentielle qui a pourtant tué Jean de Florette, Abel et tant d'autres... Il y en aura une longue liste à venir.

Comment quitter ce lieu sans passer par cette côte inhumaine de St Laurent de Trèves ? Comment "rentrer" sans passer par Racoules et atteindre asphyxié le can par Solperière ?

Il reste le tunnel. Le tunnel du Marquaires...La dernière issue.


Crédit : BL


Au bout du tube sombre, c'est une longue dévalée encore plus conséquente et pentue que celle descendant sur Florac depuis St Julien qui t'attend. Celle qu'a ignoré la tribu Reilhan faite de convictions sans fondements, de souffrances empilées, cette famille posée comme le bruit d'un poing sur une table de bois.

Et en bas, plus tard, il y aura certainement de l'eau, la vie. Le Gardon d'Anduze s'est remis à couler récemment et puis il y aura encore davantage... Quelle est donc cette promesse ?

Du ravitaillement, des hommes, de la musique, de la joie, et  pourquoi pas l'amour cette vaste utilité placée à gauche mais aussi à droite de la vie ? On va pouvoir là se dire, sans effort, les belles choses utiles ?

Ce qui semble certain c'est qu'on va rentrer et qu'il ne fera plus froid. Même si, et c'est étrange, le café de St André de Valborgne dans la vallée s'appelle lui le café du Nord ?

C'est pour quand on va pendre le tunnel dans l'autre sens ? 

" Tout ce qu'on a pas su recevoir et donner de la vie, c'est à la mort qu'il faudra le payer d'un coup..." (Jean Carrière)


On parle souvent d'une lumière au bout du tunnel !? 
Tu confirmes Abel ? Et tu as trouvé quoi ? De l'eau ? Ah, c'est autre chose ?
Tu ne veux pas en parler ?

Crédit : BL


Posts les plus consultés de ce blog

SEPT CENTS ( 7 cols en Cévennes – 12 mai 2024 - 218 km)

PARIS NICE - Du 11 au 16 avril 2024 - 1010 km. (1/2)

"Frelons asiatiques versus gentilles abeilles des campagnes..." (BRM 200 – 05 mai 2024 – 240 km)