" C'est Ultra..." (Ultratrail du bout du cirque - Le Vigan - 02 mars 2019 - 100 km)

Soleil et pluie, ce mélange étonnant et magnifique sur l'ultra (Km 44)...




                             La mode semble faire la "place belle" à l'ultra trail, course (très)longue distance, en milieu naturel avec de l'élévation. Ici, pour ce qui nous concerne, deux marathons et demi dans les cailloux et la campagne avec un petit Mt Blanc à gravir et descendre ( 4000 m de dénivelé+). C'est devenu, aujourd'hui normal pour un adepte du footing, alors que l'on est (mathématiquement) éjectés de nos belles courbes de Gauss de la raison, de s'inscrire à ce type de truc. C'est un peu, comme "chérir l'amertume" du café, ou l'amertume tout court, dans les aliments de notre table. Celui qui met un sucre dans sa tasse est immédiatement placé "sous écrous" avant son jugement dernier, il y a trouble au nouvel ordre public. Le nouvel ordre du consensus médiatique n'a plus le marathon en référence mais l'ultra. Ainsi soit-il. Que sont devenus les joggeurs du dimanche avec cette fameuse sortie longue d'une heure, réservée aux plus entraînés ?! Atomisés, digérés par le trou noir des nouvelles normes et références.

Depuis mon premier "Millau" (100KM) en 1990, résultat d'un pari avec un copain qui lui s'est dégonflé à vie et au dernier moment, et je ne lui en veux pas, du temps a passé. Mes récidives sur asphaltes m'ont poussé autrefois à imaginer parfois une poursuite avec des êtres imaginaires ( alias les cyborgs de la série des Terminator ), étant toujours plus éloigné d'une Sarah Connors virtuelle que je n'ai jamais retrouvé. Qui était Sarah à l'ère de la confrérie des Inoxs ? Je vous expliquerai un jour peut-être.
Bref me voilà ce matin sur un "Ultra de Province" (encore accessible) pour retrouver cette fameuse distance et oublier un peu l'asphalte responsable du vieillissement prématuré (très visible pour beaucoup). Hors de question d'être plus ambitieux que ça. La question est " suis-je encore capable d'être digne sur ce parcours  " sans être un spécialiste ?
La course pédestre Ultra et en deçà (c'est à dire le bricolage), tous les "vieux c." comme moi vous le diront, et c'est pour ça peut-être qu'on est vieux, est devenue une course au fric, aux points ITRA, à te placer dans les mains d'un organisateur à bénéfice, d'un tirage au sort de la souffrance payante. C'est bien cela la souffrance se mérite et s'achète aujourd'hui. Je l'ai toujours cru gratuite et personnelle. Je l'ai souvent appréciée, en toute autonomie, et en solitaire cette "souffrance" sommes toutes relative.

4h le samedi matin. Je me place derrière les 200 petits coureurs qui vont s'élancer, n'aurai-je pas le temps de doubler plus tard si nécessaire ? Faire semblant de ne pas être concerné, c'est bien. La nuit a été courte mais l'impétrant est calme, il est un peu typé, bandana, frontale, bâton (pour les fatigués), bidons. Un petit arbuste de Noel... Prêts à prendre des coups avant de parvenir au barbecue. Nous longeons l'Arre (rivière) sur les quais, petit train de loupiottes qui mène au premier monotrace vertical où, évidemment, ça bouchonne. 
De toutes les façons on va vite se placer et chacun à sa place croyez-le, 3 km d'échauffement joyeux sur plat, il est encore temps de plaisanter avant le petit déjeuner... C'est le "parcours de l'oignon (21km)" pour ceux qui ont moins "les cannes" et voudront "envoyer" cet après midi. Les faibles. Quand ils auront compris que c'est 100 bornes la référence...
L'Arboux, il est déjà plus de 5h sur terrain varié, la montre semble déconner, elle s'affole alors qu'on piétine.
Navous, quelques maisons endormies, on ne double plus, on n'est plus doublés, on s'épie... Qui êtes vous ?
La Rouvierette (17 Km- 6h18), tiens un petit ravito. d'Alpage, une maison avec de belles pierres, une petite envie (pour moi) de s'arrêter et de passer la journée là à flâner au milieu de châtaigniers sans le moindre but, le moindre calcul. A faire craquer la bûche dans la cheminée.

La sortie de la nuit provoque toujours une joie indéfinissable...


Col de Peyrefiche (Km 21-7h03), le jour se lève, le terrain est plus roulant mais quand même à peine 7 de moyenne... C'est du trail il n'y a pas de doute, t'es "en prise", pas à fond mais quand même... et tu piétines.
Revoilà ou voilà  Mandagout ce petit village point de départ de la Luzette, destination des cyclistes de printemps qui font faire une belle saison au soleil.

Aulas est atteint à 9h (Km36), je profite bien des plats et des descentes pour courir sinon la moyenne deviendrait catastrophique (je l'imagine à 3 ou 3,5 km/h dans les bosses). En trail dès que tu peux, tu cours, c'est bien compris ?! Même en trottinant tu divises par deux le temps passé et le nombre d'impacts sur le sol... Bon les ravito ce n'est pas le grand luxe mais je n'ai payé que 65€, moins d'un euro du km et c'est bien rare, le bon ratio... Donc je pardonne.  Je me concocte un petit bol alimentaire varié et diversifié (à définir selon coach Rémy) en vue d'atteindre le suivant.




Foulée souple, quelle gestion !...














Le col des Mouzoules (45 Km)  est long mais c'est tellement beau. Quelques giboulées de mars semblent arriver de l'ouest, quelques gouttes, un arc en ciel. 






Longue descente également sur le ravito, attention à ne pas trébucher, je viens de doubler un coureur qui a les genoux en sang...S'arrêter pour lui est absurde, ce n'est que du sang après tout, la preuve judéo-chrétienne de la souffrance... Il a raison. Souffrons et étalons notre souffrance...




Arre (12H-51 Km), la moitié de la course au fond d'un trou. Déjà 8h sur le terrain... Je me sens pas trop mal, bonne gestion Bernard ? La lenteur sur le Teide doit quand même payer par le biais de ce séjour en altitude (cf.blog). On va rentrer à la maison, pas de "négative split" en vue, ce sera une arrivée bien après 20h, certes  mais avant minuit si tout va bien et surtout en respectant les barrières horaires...
Profites Bernard, profites !!! C'est l'organisateur qui nous le conseille avant de partir avec la caisse (comptes à l'équilibre), cela fait partie des consignes d'avant course, le fameux briefing que personne n'écoute.
Sortons de ce trou pour aller voir le plateau là-haut qui mène à Navacelles. C'est bien. J'arrive encore à courir sur ces pistes en terre, pas d'échauffements, pas d'ampoules, pas de douleur, seulement une certaine rigidité qui s'installe, ...

Ravito de Calrouge (62 km-14h28), le premier concurrent du trail dit "aux étoiles", parti à midi pétante, arrive peu après moi. Il est frais le jeune et fait son petit Kilian sans rougir. 
Cela va être la longue descente vers le Moulin de la Foux, destination suprême des Erasmus de Montpellier qui parlent, la joie sur le visage, en plusieurs langues congrès, colocation, posters et autres publications universitaires. Je suis doublé maintenant par les "avions de chasse du petit trail" qui reviennent sur nous. Notamment par Colas Moreau, un "ami coureur" qui doit être dans les 20 premiers et va exploser magnifiquement "la turbine" dans la remontée sur Blandas (Abandon). Il est en formation mentale sur ce type de (petit) parcours. Allons quand même 62 km ce n'est pas rien comme distance ! Il faut mentaliser et lever le pied !!! 
Son côté James Dean m'émeut. Je l'envie aussi peut-être et regrette certainement d'avoir été trop raisonnable à son âge. "A fond pour se sentir vivant !!!"  Voilà un beau slogan que je vais vendre à une organisation.  Nous longeons la Vis jusqu'à Navacelles bourg, quelle fraîcheur ! J'aime beaucoup cet endroit. La remontée du cirque est surprenante, en vélo par la route ce doit être plus souple, je reviendrai. Surtout que l'on arrive par le haut sur le contrôle pâté , pourquoi faire simple, on viendrai donc du ciel ? (78 Km-17h26)



La sortie de ce Cirque est émouvante... Je n'ai pas explosé la turbine. Je suis un magnifique expert comptable de la régulation de la machine humaine. Cela m'ennuie. Attends moi Colas, je vais accélérer ! Il est urgent "à mon age" d'exploser les derniers records..

Là, je sais que c'est gagné, il y a le plateau à faire dans l'autre sens et bricoler ensuite au dessus du Vigan, histoire de ne pas freiner trop brutalement.
Que le temps passe !? Il faut remettre les frontales, j'ai failli m'en séparer à midi !? Quelle prétention ?
La descente sur Bez est étrange, chaotique et je réalise qu'en fait je ne descend pas très vite. Il faut que j'y réfléchisse mais reposé, pas à chaud. Un excès de prudence si proche de la victoire ?
 Bez ( 19h46 - 89 Km). Étrange cette sortie de ravito dans le village illuminé vide. Cela tournicote, je pense à le Provence. Je doit donc être heureux à ce stade. Comment les 8 premières années de ma vie peuvent-elles avoir une incidence sur mon mental à ce moment précis ? Comme un flow de dopamine, une certaine béatitude chantée dans les églises.

 Voici, la dernière bosse théoriquement redoutée par certains. Même pas peur... Les balises sont magnifiques, elles brillent tous les 50 m, bon boulot les organisateurs, ne pas réfléchir maintenant est essentiel. Le chaos de Rochers là-haut, doucement, on ne va pas chuter là au dessus de la banderole... Nous tombons directement dans Molières Cavaillac
Que dire de ce village ? C'est le village de l'arrivée ? C'était un village de départ aussi il y a longtemps. Plus personne ne m'attend au détour de ces lampadaires, un gilet jaune  bénévole tout au plus, un migrant sur rond point, affolé par les lucioles, hurlant dans sa langue quelques bribes audibles. J'ai laissé ici mon passé englouti d'avant mon premier Millau.
Peut-être Paul, le grand père de Loïc, sera-t-il là,  son vélo (neuf) à la main, disant qu'il m'a guetté longtemps à la sortie de l'usine juste après la réunion syndicale... 
Je trace le long de l'Arre sur des cailloux mal rangés, les balises sont en vue, surtout ne pas les perdre. Des voix m'interpellent, je les entends. Peut-être des voix connues, masculines ? féminines ? Je les entend distinctement c'est plus qu'un murmure. Que me disent t-elles ? " Bernard tu as du talent, vas donc t'exprimer sur l'UTMB !" ou plutôt... " Bernard, tu ne penses pas qu' il faudra bien un jour arrêter tout ce cirque...!!!" Hum ! Pas très clair tout ça malgré la luminosité urbaine qui s'intensifie.

Des bruits, c'est à gauche. La fanfare,  le manège de l'arrivée, avec les dompteurs qui me montrent la ligne...

Je vais saluer la foule avec ce cri dont parlait un certain Cioran.  "Dans les paniques comme dans la volupté, nous réintégrons nos origines..., le chimpanzé, relégué injustement, atteint enfin la gloire, l'espace d'un cri..."



La soupe à l'oignon n'est pas ce que je préfère après 100 bornes en plus de 18 h...
Le singe sait aussi faire du vélo, on le nomme souvent "le cycliste" dans d'autres représentations, d'autres villages...



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